Mai 68 : un Biafra de l’utopie Jean-Louis Cloët, 22 mars 200812 août 2023 Que reste-t-il de mai 68, et de ce qu’on nomme habituellement sa « Révolution » ?… En ce 22 mars 2008, qui marque le début des célébrations hystériques plus qu’historiques qui ne vont pas manquer de se succéder, à POLAIRE, on choisit de s’interroger nous aussi, et de tenter de répondre un peu à la question… Mai 68, vu par Henri Cartier-Bresson MAI 68 : UN BIAFRADE L’UTOPIEPour Dinu Lipatti, mort à 33 ans, pour le remercier de son interprétation de « Que ma joie demeure » de J.S. Bach, qui devrait être l’hymne international du nouveau monde à construire [Dans le consensus de célébration général, je crains de n’être — une fois de plus — guère « politiquement correct », et, pour ce faire et pour le dire, à la langue de Paul Valéry, pour une fois, je préférerai « la langue verte » comme un hommage au bon François Villon, notre Maître exorciste et exorciseur devant « L’Éternel Retour » du médiocre… Puis, à vingt ans, sous l’influence de mes brillants Aînés soixanthuitards, je parlais ainsi. Alors !…]LE POISSON POURRIT PAR LA TÊTELes révolutions sont comme le poisson : elles pourrissent toujours par la tête. Après les mouvements beatnik et hippie qui continuaient l’élan de libération romantique et d’internationalisation du rêve d’abolir toute frontière entre les races et les cultures, dans un syncrétisme spirituel certes naïf mais d’une grande fraîcheur, Mai 68 et ses conséquences : l’émergence d’une nouvelle classe d’intellectuels qui se sera emparée peu à peu de bon nombre des postes à pouvoir pour la diffusion et le contrôle du savoir, se sera avéré être un Biafra de l’utopie.Les slogans mêmes de 68 ont été bafoués à terme et pour tout dire fort vite par cette partie des soixanthuitards qui tirèrent seuls ensuite, cyniquement — nique-nique, — narcissiquement, bénéfices et profits du mouvement en se faisant passer le plus souvent pour des « anciens combattants », alors qu’ils illustrèrent à eux seuls l’incarnation la plus patente et la plus obscène d’un concept qui faisait alors office de mot d’ordre pour focaliser la haine et le mépris : celui de « petit bourgeois [1] ». Car, ceux-là mêmes qui crièrent le plus fort : « Il est interdit d’interdire !… », ceux-là mêmes qui criaient : « C.R.S., S.S. !… », ceux-là mêmes qui prétendaient que « sous les pavés » se trouvait « la plage », se sont mués assez rapidement en dictateurs au petit pied multipliant les interdits, se comportant plus que comme des C.R.S. échauffés en S.S. de la pensée, et, comme les pires bétonneurs sur le plan philosophique, littéraire, poétique, politique et sociologique qui aient jamais existé. Je ne parle pas du spirituel qu’ils avaient — et qu’ils ont toujours d’ailleurs — en « sainte » horreur plus que tout, avec toute forme d’idéalisme et toute idée d’un Dieu possible, et, toute idée de religion, même au sens le plus laïc et le plus républicain du terme. « Sous les pavés, la plage !… » On a eu droit seulement au désert et au béton. « Arrange-toi avec ça !!!!!!! » comme disait, proférait Ferré… Leurs lignes Siegfried et Maginot, leur mur de l’Atlantique a-humaniste, a-théologique, anti-religieux, anti-utopique — préparant et autorisant l’ultra-libéral capitalisme d’aujourd’hui par souci de réalisme et de pragmatisme économique sans doute [2] ?… — ne célébrant que la littérature du Mal et le philo-sophisme du nihilisme ou la philo-sophie la plus narcissiquement inféconde et onaniste qui ait jamais été, on mettra encore sans doute plus de cinquante ou de cent ans à en déblayer et à en faire sauter les bunkers ; pour boucher l’horizon, ils nous ont laissé, formidables encore — hélas ! — leurs citadelles mortes. Dans cinquante ou cent ans : que restera-t-il de Barthes, de Foucault, de Derrida, de Lyotard… des seconds couteaux : Jean-Luc Nancy, Badiou et consort… des postmodernes héritiers auto-proclamés de 68, et, surtout, de la cohorte besogneuse, haineuse et pédante de leurs émules endoctrinés et terroristes ?… Rien. Tous du vent : de la « Mythologie ». La Mythologie de « L’Ère du soupçon », autrement dit : RIEN !!! Ajoutez à cela dans la pratique, celle de la culture de masse : le nivellement par la parabase et la catabase et la base, et sous la base, la vase… qui a mis sur le même plan Dante, Hölderlin, Novalis, Kleist… Rimbaud… et la B.D., Gainsbourg, les Rolling Stones, Lou Reed… Star Cacadémie… et Mozart ou Stravinski… n’importe quelle image de pub où l’on verrait Carla Bruni ou un carré de bouillon KUB sur le même plan que Léonard ou Raphaël, Dürer ou Schiele… Mais, Andy Warhol en son temps a parlé assez bien de tout cela, en a disserté pour transformer une fois de plus la merde en dollars ; il a démonté le processus somme toute presque aussi bien que les membres de l’Internationale Situationniste et Guy Debord… Après, il y a eu les Sollers, les Millets (et leurs Angélus) et autres zozos et zozottes — moins amusants que les zazous — qui ont étalé leurs problèmes de prostate et de cystite sur le P.A.F. en tentant de se faire passer, depuis déjà pas mal de lustres et de vessies ou d’ovaires-lanternes, pour pape et papesse de la contre-cult… turelure-tirelire !… Mais de cela, ce n’est pas même la peine de parler… Ils ne sont que les manifestations sous-utérines de la « déconstruction » à tout va d’un monde à l’estomac, du jeu de l’ego sur le mode ultra régressif du « caca-boudin » et du « pipi-caca » à tous crins qui se donnait et qui se donne encore des allures de quintessences exquises à la Lyotard, à la Barthes, à la Foucault, ou à la Derrida… et, je ne cite pas tout le conclave !… Point trop ne faut abuser !… Mais 68 n’est qu’un feu de pailles dans l’œil du voisin. Après le bavassage terroriste dans des A.G. hystériques… qui allaient déjà vers le « No Future » de 1975, de 1985, et au-delà… Les doctrinaires vont avoir raison des utopistes. Il n’est pas bon d’être « poète » au sein de la réalité postmoderne. L’idéal de Mai 68, la partie la meilleure — car elle existait !… — a été fossoyée par ses commissaires politiques, qui ont liquidé les utopistes, comme, lors de la guerre d’Espagne, brouillon de la seconde guerre mondiale, les va-nu-pieds des « Brigades Internationales », anarchistes et communistes flamboyants, ont été liquidés par les commissaires staliniens. On aurait dû se méfier en lisant le slogan : « La Révolution doit cesser d’être pour exister. » Mais bon !… LA FRANCE RANCIEL’Histoire l’a mainte fois prouvé : on peut commencer comme un « héros » et finir comme un salaud. Regardez Pétain !… Eh bien, la plupart de nos bons soixanthuitards intellos lui ressemblent ; je dirais même pire : ont très vite fini par ressembler à Mao, à Franco, à Pinochet, à Ceaucescu : « L’Everest de la pensée » comme disait la propagande… et, j’en passe. Comme on le sait, la liste est longue. Enfants de putain… : enfants de Pétain ! France éternelle… : la France rancie du « bon beurre » qui se donne des allures de gauchisme. Qu’y a-t-il de plus laid que de trahir ses rêves ?… Avoir menti sur ceux que l’on a prétendument faits !… Ainsi en est-il de certains de nos soixanthuitards, les seuls à être restés en vie ou en poste encore aujourd’hui : vrais cyniques et faux utopistes qui ont su mener leur barque sur l’Achéron, sur les Styx de l’univers postmoderne de la mort de tout… : de Dieu, de l’Art, de l’homme, de l’humanisme, des utopies, de la littérature, de la poésie… mais pas de la connerie, née du pragmatisme mercantile et du goût du pouvoir et de la gloriole, qui, elle, ne s’est jamais portée aussi bien depuis des millénaires, merci !… L’époque restera gravée dans l’Histoire comme une grande époque d’infamie, de lâcheté et de bassesse, de malhonnêteté intellectuelle et d’affairisme, soyons-en sûr !… L’écrivain rend l’écrit vain… ce qu’il faut, c’est être poète [3]. Or, cette génération n’a accouché que de commentateurs pour la plupart stériles qui se sont auto-persuadés et ont tenté de persuader le public « intello » — souvent avec succès, car il y a des gogos partout — que leurs commentaires, souvent commentaires de commentaires de commentaires [etc., à l’infini [4]] de textes littéraires étaient vraiment de la littérature, remplaçaient la littérature. Bref, c’est une génération d’eunuques à l’ambition priapique qui n’offre plus aujourd’hui dans leurs jardins à la française — car ils se piquaient d’être apolliniens bien plutôt que dionysiaques, tout en se prétendant furieusement dionysiaques bien sûr : oui, restons simples !… — que des perchoirs, peu fiables d’ailleurs, aux oiseaux de passage, des bites en stuck, pas même les bites en bois d’Aristophane : ça n’a jamais rien fécondé tout ça ; c’est de la stérilité en tube qui s’est passé la pommade plus de trente ans durant et qui n’a pratiqué au mieux — quand elle n’entubait pas les gogos — que l’auto-sodomie même pas sur le mode dalinien, qui en la matière au moins avait du style et du génie. Léo, un vrai poète, lui !… qui chantait « Soixante-huit qui s’en revient du trottoir… » sans être dupe : n’avait-il pas chanté avant « L’Âge d’or », notre Léo national, dans ses grands messes anarchistes [5], et la poésie à la Rimbe, pas l’anti-poésie et sa merde en pot névrotique !… Léo n’était pas fou : il était resté fidèle au « Temps des cerises » ; il ne disait pas : « Cours, Camarade, le vieux monde est derrière toi ! » ; dans « le vieux monde », pour lui, vieille graine d’« Ananar », il y avait encore trop de gens, trop de choses, trop de sang, trop de larmes, trop de sueur, partagés, qui lui paraissaient indispensables ! Et il ne fallait pas toucher à la mystique de la poésie, au « canto jondo [6] » : cela ne l’empêchait pas d’être moderne, vraiment moderne, lui : le Léo !…Qu’on réécoute ses chansons : pas une qui ne tienne pas la route de l’avenir : on dirait du François Villon !… * LA RÉVOLUTION NOUVELLE ÉTAIT ARRIVÉE !…Au début, cela commençait plutôt bien leur affaire… : Mai 68, comme on le sait, commence par le Mouvement anti-impérialiste du 22 mars contre les U.S. et l’absurde et obscène guerre au Vietnam. Comment ne pas être d’accord ?…… Dès l’été 67, dans les pays occidentaux, les étudiants s’étaient engagés contre la guerre au Vietnam et dénonçaient l’impérialisme américain. Avant la manifestation qui donnera naissance au fameux « Mouvement du 22 mars », il y avait eu la manifestation du 21 février 68. Que redire à cela ?… Rien !… Des jeunes qui manifestent contre une certaine Amérique qu’on ne connaît que trop bien : cette putain d’Amérique puritaine et protectionniste, protestante et catholicarde, de fait chrétienne comme mon cul… cette putain d’Amérique dont de Gaulle se défiait tant et qui a fait payer à l’Europe ensuite et au monde au centuple le sang des G.Is tombés, l’aide accordée… l’Amérique, qui, après les boursicotages de 29, nous avait foutu dans la merde avec la guerre pour seule perspective de relance économique, comme elle nous fout dans la merde de même encore aujourd’hui pour les mêmes raisons de rage du profit… l’Amérique qui soutenait la guerre au Vietnam et qui soutient aujourd’hui la guerre en Irak de Bush, épouvantail politique des grands trusts pétroliers… l’Amérique capitaliste et impérialiste, l’Amérique des pétroliers, des trans-nationales, considérant les autres pays que l’Amérique comme des colonies conquises ou des terres à conquérir par tous les moyens et pour qui tous les moyens sont bons, via la CIA — que l’on songe seulement au sort d’Allende — ; bref, cette putain d’Amérique-là, dénoncée en visionnaire par notre Chaman national, Antonin Artaud, décidément fort peu fou mais extra-lucide — N’en déplaise au Docteur Ferdière — dès 1947 : Et vive la guerre, n’est-ce pas ?Car n’est-ce pas, ce faisant, la guerre que les Américains ont préparée et qu’ils préparent ainsi pied à pied.Pour défendre cet usinage insensé contre toutes les concurrences qui ne sauraient manquer de toutes parts de s’élever,il faut des soldats, des armées, des avions, des cuirassés […]Car nous avons plus d’un ennemiet qui nous guette, mon fils,nous, les capitalistes-nés […] [7]. Comment ne pas être contre cette Amérique-là qui étouffe l’Amérique progressiste qu’on aime, qu’on adore même, et le monde ?… Dylan, Joan Baez, Simon & Garfunkel… [la liste serait longue, s’il fallait citer toute l’intelligensia de la culture pop de l’époque] : tout cela était fort « sympa », « vachement sympa », « super »… n’est-ce pas ? En Europe, c’est sûr, et en France, l’Historique pays des « Droits de l’homme », il fallait faire comme les Américains qui avaient défilé avant nous contre la guerre du Vietnam aux U.S., il fallait imiter les U.S. mythiques, leur prendre le pas !… Et pourquoi pas !… Mais bien sûr !… Solidarité internationale oblige !… On connaît la suite : le Doyen de Nanterre ayant fermé la faculté suite à une grève, le « Mouvement du 22 mars » appelant à forger un « Front Uni Anti-Impérialiste » d’inspiration libertaire et anti-impérialiste se transféra vers la Sorbonne, et Mai 68 commença. Le 3 mai, la Sorbonne fut occupée par des étudiants pour protester contre l’incendie d’un local par des militants d’extrême-droite et la convocation de Cohn-Bendit et de ses camarades du « Mouvement du 22 mars » devant la commission de discipline prévue le 6 mai. Le 3 mai, les premières barricades s’élevèrent dans le quartier latin, et le 6 mai, Cohn-Bendit se vit dans l’obligation de quitter le territoire français. « Nous sommes tous des Juifs et des Allemands… » : tu parles !… En matière d’espérance profonde dans des « lendemains qui chantent », ou en tous les cas « qui chantent [mieux et plus en accord] », au départ, pas de différence profonde — quitte à choquer — entre la jeunesse résistante (contre Vichy et les nazis) et les joyeux utopistes héritiers supposés du mouvement baba-cool et hippie. Génération mai 40 ou Génération mai 68… : ce qui manquait à la seconde en somme, c’était pour faire comme ses aînés la légitimité d’un combat, y compris si pour cela, il fallait un peu « tuer le père [8] », même un peu beaucoup. Non ! pas de doute : au début, cela commençait plutôt bien leur affaire : « Ne me libère pas, je m’en charge » — il y avait du Socrate là-dedans !… — « Jouissez sans entrave », en épicurien et non en pourceau d’hédoniste, pourquoi pas, oui ?… « Plus je fais l’amour, plus j’ai envie de faire la révolution. Plus je fais la révolution, plus j’ai envie de faire l’amour… » ; « Autrefois nous n’avions que le pavot. Aujourd’hui le pavé » : après les outrances psychédéliques et leurs errances mortelles souvent, là, au moins, c’était redevenir dynamique, s’inscrire au cœur de la Cité !… Alors ?…* — BANDE D’ENC[…] !« Cours, Camarade, le vieux monde est derrière toi ! » On connaît le slogan, célèbre !… Eh bien ! la génération de 68 s’est fait rattraper et s’est fait enculer jusqu’à l’os, et, pour ses « intellos » plus rapides, qui déjà la devançaient pour prendre la place des vieux qui avaient fui les chaires d’université : elle nous a « niqué » jusqu’à l’os. « Laissons la peur du rouge aux bêtes à cornes. » Le seul héritage objectif de Mai 68, en vérité je vous le dis, mes Frères… Camarades… c’est l’héritage de ses « intellos de service », l’héritage postmoderne, l’héritage du cimetière universel dont ils furent les gardiens mercantiles et farouches trente cinq ans durant, en se faisant payer l’octroi autant qu’ils le pouvaient puisqu’ils détenaient dans leurs séminaires d’université, ou dans les salles de rédaction et les comités de lecture, les postes-clefs pour la maîtrise du savoir, pour imposer leur doxa autant qu’ils le pouvaient. « Ceux qui prennent leurs désirs pour des réalités sont ceux qui croient à la réalité de leurs désirs. » Mais oui, bien sûr !… « Ne nous attardons pas au spectacle de la contestation, mais passons à la contestation du spectacle » quand c’est nous que ne le faisons pas, n’est-ce pas ! chaque fois que nous ne touchons pas le prix de la recette !… Eh bien ! le spectacle — Debord l’avait-il prévu ? — va durer trente ans bien sonnés à guichets bouclés dans les facs avec miradors à l’entrée et barbelés, dans les rédactions des magazines dits « branchés », « up to date », dans les salles de rédaction de certains journaux, dans les comités de lecture de certaines maisons d’édition ayant pignon, disons plutôt fanal, sur rue. Le nivellement par le bas se fera total : « L’Art, c’est de la merde », « La poésie est inadmissible », « N’allez pas en Grèce cet été, restez à la Sorbonne » pour y admirer les Vénus de Milo et les Praxitèles, les Périclès et les Euripides auto-proclamés ne cessant de répéter à qui voulait les adorer : « L’Art, c’est de la merde », « La Poésie est inadmissible », « La Littérature est morte », « L’Homme est mort », « Dieu est inadmissible », « Toute idée de religion est inadmissible », « Il n’y a de littérature que du Mal, si elle existe », « Toute utopie politique est nécessairement fasciste », « Écrire un poème après Auschwitz est un acte de barbarie », and so one… and so one… and so one… tandis que bien des membres de notre génération à nous, celle d’après, celle qui avait vingt ans en 1975 et qui vivait sous la coupe de la précédente, celle des soixanthuitards précisément, chantait et soliloquait pour elle seule, en repensant au beatnik et aux hippies qui étaient moins cons et surtout plus sincères que cette bande d’ »intellos » totalement trash et déjantés, pédants et dandys, qui puaient de la gueule et de la tête : « I am a poor lonesome cowboy ! and a long way from home… » « J’emmerde la société, mais elle me le rend bien » ; eh bien ! plus aucun doute possible pour nous : la société désormais c’était eux, et ils nous emmerdaient bien à leur tour, après les « vieux cons », les nouveaux « vieux cons » étaient arrivés et ils n’avaient rien à envier aux anciens, bien au contraire !… C’étaient rien moins que les Anciens pour la volonté de puissance, mais avec les bonnes manières en moins, et, souvent — oh ! bien trop souvent !… — la culture !… On aurait eu envie de leur dire nous aussi : « C.R.S. qui visitez en civil, faites attention à la marche en sortant… » mais il se trouve qu’en fac ils étaient chez eux, les vaches, et que c’était nous qui étions les touristes en tenues rayées ou avec des croix sur le dos tracés à la peinture noire ou rouge, menés en visite très guidée, « fliquée » pour tout dire. « Les gens qui travaillent s’ennuient quand ils ne travaillent pas. Les gens qui ne travaillent pas ne s’ennuient jamais. » Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’avec leurs élucubrations, ils ne construisaient pas l’avenir. Ils ne s’ennuyaient donc jamais, non, en pratiquant sans cesse la masturbation intellectuelle en public… mais, nous : qu’est-ce qu’on se faisait chier, sans pouvoir rien leur dire ni leur répondre !… Il était loin le slogan de 68 : « Soyez réaliste, demandez l’impossible ! » Notez bien qu’ils avaient annoncé la couleur, les veaux : ils s’étaient auto-proclamés aussi dans l’avenir qu’ils s’envisageaient après la prise de pouvoir dans les universités : « Il n’y aura plus que deux catégories d’hommes : les veaux et les révolutionnaires. En cas de mariage, ça fera des Réveaulutionnaires. » Des « Réveaulutionnaires » avec des couilles en or, qu’il nous fallait adorer comme le veau d’or… des couilles stériles, qui n’ont jamais rien fécondé : aucun esprit. Mais « Exagérer, c’est commencer d’inventer », n’est-ce pas ?… Et, un Bouddha soixanthuitard ne l’avait-il pas écrit sur les murs de Paris : « Je rêve d’être un imbécile heureux. » Pour le premier projet, c’était gagné !… Si encore, ils l’avaient été heureux, s’ils avaient eu le bonheur communicatif !… mais non !… ils n’avaient que le bourdon à nous refiler et leur merde. Jean Genet le disait : « la poésie, c’est l’art d’utiliser sa merde et de la faire bouffer aux autres » — l’anti-poésie de merde à la Denis Roche ou à la Yves Bonnefoy, oui !… mais, c’est surtout leur anti-idéologie, leur anti-théologie postmoderne qui était « l’art d’utiliser sa merde et de la faire bouffer aux autres » avec l’obligation expresse de la chier de la gueule à l’examen, si l’on voulait prétendre être dûment estampillé, reconnu et autorisé à faire partie du cénacle et à remuer de l’encensoir, en touillant de l’autre main avec la cuillère à pot dans le tronc commun, chasse gardée !… « Attention ! les cons nous cernent ! » Tous leurs slogans, nous, la génération d’après, celle du désespoir, celle des punks — « No Future !… » — on pouvait les leur retourner dans la gueule : Soixante huit avait eu la connerie sentencieuse !… « Merde au bonheur : vivez ! » Vieux cons ! — OÙ SONT LES GUIDES ?…Comment peut-on envisager une Révolution qui réussit sans chefs, sans guides ?… sans « Timoniers » qui ne soit pas que des tisonniers, des brosses à chiottes !… Comment envisager une Révolution réussie sans au moins un cerveau qui a compris que le mot même de « Révolution » était à comprendre dans un sens à la fois de retour aux sources et d’élan d’idéal progressiste qui consiste à vouloir une « Ré-évolution » pour le bien de tous ?… Et comment la mener ?… Un vrai chef, c’est celui qui donne à chacun, à l’individu le plus humble, une dignité : celle de servir. C’était par exemple Leclerc, à la tête de la 2e D.B. Le dernier à avoir incarné ce principe à la tête de l’État français — n’en déplaise aux soixanthuitards vraiment attardés — est le général de Gaulle et nul autre : le père psychanalytique, le père à tuer de jadis. Bon nombre de soixanthuitards qui ont évolué et maturé leur pensée l’ont depuis réhabilité. Certains jeunes cons ont fini avec le temps par devenir intelligents et objectifs. De Gaulle dans son genre avait été un authentique Révolutionnaire : Malraux ne s’y est pas trompé ; de Gaulle fut un Révolutionnaire flamboyant le 18 juin 1940, en osant dire : « La France a perdu une bataille, mais elle n’a pas perdu la guerre » Ayez foi en l’Espérance : battez-vous ! Sacrifiez-vous si nécessaire : il faut rebâtir la France. 68, en France — évidemment en Tchécoslovaquie, à Prague, ce fut là-bas tout autre chose, là ils ont eu à la fois des martyrs et de vrais penseurs — fut une révolution de nantis pour beaucoup, qui chassa un authentique combattant. — QUEL HÉRITAGE ?Le meilleur de Mai 68, ce sont les femmes qui, en Amérique comme en Europe, l’ont conquis de haute lutte : elles avaient à venger l’assassinat de leur modèle, de leur sainte patronne : la flamboyante et sublime Olympe de Gouge, qui, la première, avait réclamé des « Droits de la femme et de la citoyenne », et n’avait obtenu de messieurs les Révolutionnaires — machistes autant qu’on pouvait l’être tout en étant des esprits libres, paraît-il, — que le droit à la guillotine… Quelles conquêtes de Mai 68 ?… Quel héritage qui reste ?… Mai 68 n’a donné à chacun sur un pseudo droit démocratique de principe d’égalité que celui d’affirmer son histrionisme ou sa particularité, prétendant l’imposer à tous. En laissant les intellectuels confisquer le mouvement à leur seul profit pour l’instrumentaliser dans les facs, dans les journaux, les magazines, sur les ondes, à la télé, dans les maisons d’édition… dans les ministères parfois même… l’héritage de mai 68 ?… C’est ce monde désacralisé et donc sans déontologie, sans « religion », sans « lien » possible, où tous les coups sont permis, ce monde du narcissisme roi, de l’individualisme forcené, ce monde du spectacle où chacun doit avoir son quart d’heure de célébrité comme jadis dans les A.G. [9], ce monde du nivellement par la base mais en même temps et dans un même mouvement naturel — puisque les extrêmes se touchent — de l’élitisme forcené où seulement quelques-uns prétendent détenir la vérité et entendent l’imposer à tous. L’héritage de mai 68 ?… Contre toute apparence, et contre toute attente, c’est aussi la pantalonnade sarkozyenne actuelle : Sarkozy qui ne sort jamais sans son tailleur en titre Henri Guaino, qui prétend, moyennant quelques légers ajustements de principe et de façade, lui faire endosser l’uniforme du Général : un uniforme visiblement toujours trop grand pour lui, et, dont il n’a su habiter que la manche ou le képi, pensant ainsi avoir hérité de droit une légitimité par ce biais, en nous faisant quelques tours de magie verbale, en s’affichant comme un people très « libéré », en nous posant des lapins dans les promesses qu’il nous fait sans que rien ne change dans notre porte-monnaie… en laissant courir l’inflation, alors même que la plupart des patrons français viennent selon les sondages d’augmenter leur revenu cette année de quarante pour cent… à commencer sans doute par les patrons d’hypermarchés.C’est cela aussi l’héritage de mai 68 : « La Frime » comme disait le bon Léo !… « Vote, connard !… »« Défense de ne pas [s’]afficher. »« Élections : piège à con. »« Travailleur, tu as 25 ans, mais ton syndicat est d’un autre siècle. »« Je suis marxiste tendance groucho. »* — « À REFAIRE !… »APPEL À L’INSURRECTION SPIRITUELLE GÉNÉRALE !!!!!Pour conclure ?… En guise d’épilogue ou d’épitaphe ?Les derniers soixthantuitards, les premiers, les seconds, les troisièmes, les quatrièmes, les cinquièmes et sixièmes couteaux, jusqu’aux septièmes, oui, des soixhantuitards « intellos » : je n’ai qu’une espérance en ce qui les concerne : les voir convoqués, tous, morts ou vivants, au Tribunal de l’Histoire, et, être sommés de rendre des comptes.Je suis sûr d’une chose : les générations futures, les jeunes générations, les maudiront, les maudissent déjà, pour ne pas avoir cru en deux choses : en la vie d’abord, et en l’homme, pour n’avoir dispensé, imposé, qu’une culture de mort. Il y a des époques où l’on peut assumer sa misère la tête haute, parce qu’il y a des bannières politiques ou religieuses qui créent de l’union, qui relient les hommes. Il y a celles où l’on vit sa misère comme des vaincus, et celles-là sont particulièrement dangereuses. Voilà l’héritage objectif de Mai 68. Pour finir, c’est dire ici, pour commencer le Mai 68 à venir : je nous souhaite de vivre 2008 et les années cruciales qui vont suivre la tête haute… et le reste suivra. Il nous faut créer à présent une nouvelle « Internationale » :L’INTERNATIONALE DE L’UTOPIE ET DE L’ESPOIR !…Un seul mot d’ordre, Camarades :— « L’Imagination au pouvoir » et l’Espérance, et l’ESPOIR !…ET NOUS VAINCRONS !!! jean-louis Cloët[en ce 22 mars, pieusement célébré dans toutes les chapelles médiatiques par les transnationales de la désinformation qui entendent bien rentabiliser la connerie sous toutes ses formes et la transformer en matière sonnante et trébuchante, afin que la chevillette choit toujours dans l’escarcelle du pragmatisme et du cynisme capitaliste. « Foutre ! » et « Merdre ! » comme disait Jarry !… Aux âmes, citoyennes, aux âmes, citoyens !… Montrez donc ce que vous valez ! Bon sang ne saurait mentir. — DEBOUT !!!!!] Paris, 1952, par Robert Doisneau [1] .— héritier direct de l’injure par excellence qu’était le terme « bourgeois » dans la bouche des romantiques ; à savoir : prendre ses principes pour des idées et ses préjugés pour des opinions. [2] .— Il suffit d’entendre, rond comme un moine, le bon Père Cohn-Bendit aujourd’hui ronronner, avouer qu’ils se sont plantés sur le plan politique et qu’il faut faire une croix dessus : qu’il faut faire avec le libéralisme économique, oui !… oui ! les utopies ont foiré… oui ! oui !… Non ! on ne peut y revenir !… non ! non !… Ce serait de la bêtise, oui ! oui !… Elles ont tout dit : cela menait au goulag et à Auschwitz mon fils !… Le capitalisme ne passera plus… Il faut se résoudre à l’évidence… Allez quand même en paix, mon fils… Contentez-vous d’être écolo, et priez pour l’âme de Mai 68 et de notre Grande Révolution de Potlasch et de potaches… Ben voyons !… [3] .— Être poète, pour Jean Cocteau : « écrire, sans être écrivain » ; c’est l’excellente définition qu’il donne dans son film Orphée en 1950 par la bouche de Jean Marais. [4] .— Quoi ?… La revue de Sollers ?… — Oui, aussi !… [5] .— J’en ai vues sept. J’ai participé à sept messes… en enfant de chœur exalté par le prêcheur proférateur inspiré. [6] .— Ce « chant profond » qui faisait rêver les poètes de la génération de Pierre Seghers et de Jean Cocteau, et que porte le Flamenco. Ce « Canto Jondo » si bien illustré par une des plus illustres victimes de Franco : Federico Garcia Lorca. [7] .— Antonin Artaud, Pour en finir avec le jugement de Dieu, 1947, in Artaud Œuvres, éd. Gallimard, coll. « Quarto », Paris, 2004, p. 1640-1641, passim. [8] .— En l’occurrence de Gaulle, et les quelques vrais Résistants communistes ou chrétiens de gauche, et vrais F.F.L., ou anciens révolutionnaires comme Malraux et les chefs du parti communiste historique, mais encore Aragon… Madeleine et Jean-Louis Barrault… Jean Vilar… : les artistes et gens du spectacle qui faisaient autorité. Qui ne se souvient des rodomontades onanistes de Godard au festival de Cannes. [9] .— Assemblées Générales, où il n’y avait que des pseudo-Marxs, des pseudo-Lénines, des pseudo-Maos, des pseudo-Lacans, des pseudo-Gramchys, des pseudo-Trotskys… bref, des génies universels et pontifiants sans lesquels le monde n’avait jamais existé avant… personne n’écoutant personne, et chacun exigeant de l’autre qu’il se taise et se convertisse. Il y en avait encore parfois en fac en 1975-76, dans la grande tradition, il semble ! Le Pilori (nos exaspérations)