Vincent Stéphane Partiot, 22 août 20076 mars 2024 Ton prénom répandu sur le sol cireux Vincent Et ce lent sanglot du vent qui saigne. Écouter. I. Fenêtres — fanons — la gueule ouverte sur le ciel Gris bleu gris vert blanc Tu vomis l’odeur des couleurs du peintre Couvercle d’une marmite à confiture qui siffle et qui rougit Tu étais fier alors, tu portais tes tableaux comme des colliers de pierre Mais la rougeur des tournesols, le dos des paysans Dressent contre le toit leurs poutres de lumière Et tu hurles maintenant que des rires percent la membrane du toît. Le nom de Vincent s’agite sous les vitres Je viens te tuer, vieille baleine de pierre Je viens soustraire, soulever tes cloisons Rendre poussière la ville comme on abat des murs II. The Cottage, 1885 Ton cri de vieille femme — une béance — s’accroche au gros menton du touriste. Ils n’entendent pas ton cri. Ton cri : — Passez ! Passez ! Passez votre route ! Écrasez donc les roseaux pourris. Vous n’aurez jamais l’envers de mes murs de torchis. De mes robes de torchis. De mes yeux de torchis. Passez ! Passez… Les arbres se cassent, le ciel Est fermé comme un mur — Passez ! Oubliez-moi… Oubliez le torchis ! III. Autoportrait au chevalet Mais ton cadre. Il n’est pas droit ton cadre. Si tu peins des losanges, des losanges te peignent Vitreux Plus losange que les losanges Losangulaire bleu puis vert Tes lèvres rhombes sont pleines de peinture Tu l’as embrassé, n’est-ce pas ? Le grenat du chemin Le sang du tournesol IV. Two Women in the Moor lifting potatoes Le ciel nous casse le dos La tourbe nous casse le dos La charrette — la charrette nous casse le dos. Riez donc : le cadre nous casse le dos Amsterdam, même, nous casse le dos C’est le temps qui vous ment. Mais ce qu’ils ne voient pas Peintres, prophètes ou bureaucrates C’est que notre dos, Notre dos porte le monde. V. Head of a woman, 1885 Approche, mon grand. Un regard, Un regard encore. Creuse donc mon corps crucifié Crache. Je suis une ombre de femme Infinie comme je te vois Je suis celle que tu persécutes. Ah, va-t’en ! T’es pas un homme, petit T’es pas celui qu’il me faut Je vois ton épaule mais je n’la vois plus. D’ailleurs je n’parle plus de moi Vois, petit : j’attends. VI. Glass with yellow roses Posées, brutales, comme des glaneuses, sur un coin de table en labours. Redressez-vos cous contre le verre. Que voyez-vous ? Une femme d’ocre, et nue comme vos soupirs. VII. Tournesols Un bouquet de femmes, ficelées comme des putains Envasées Un bouquet jaune et rouge. Mais c’est qu’on fâne, mes jolies ! Allez, pleurez — qui vous entendra ? Qui vous comprendra ! — Shhhffff Shff shfffgk Vous qui passssez Vous tous qui passssez Parlez nous de Vinsssent ssssi vous l’avez connu Dites nous qu’il sss’est trouvé une gentille femme Dites nous qu’on l’a aimé. Ne nous parlez plus de sssang VIII. Kneeling écorché La terre écrasée sous ton genou — ocritude d’un corps qui entreprend sa liquéfaction Je t’ai vu dénoircir au pinceau la plaque avide du temps. Tu te courbais à l’envers pour frapper des silences. Maintenant Les corbeaux de la peur se tapissent entre tes muscles rouges Plus rouges que ton sang Qui n’en finit pas de déborder des cadres Dans les cadres, sur le blé. Ton prénom répandu sur le sol cireux Vincent Et ce lent sanglot du vent qui saigne. XIX. Sursauts de pierre — convulsions. Ta bouche crache du mauvais vin. Est-ce que personne ne peux te voir mourir ? Pères & Mères (nos modèles, nos héros, nos saints, nos valeurs)