A.b.c d’Air Jean-Louis Cloët, 10 août 20075 août 2023 avril 1987 « EN GUISE DE PRÉFACE » : N’y aurait-il que l’herbe, le silence égrené par les doigts du Vent, ce vide au beau moyeu de l’air tournant comme une roue…Roussi de prés fanés, fumants, n’y aura-t-il que l’épandage frais et cuisant de la lumière qui se rouille dans le courant du jour, au gué, quand le char de l’Aube a versé ?Et, c’est toujours sur cette pierre aiguë qu’il verse, aiguë — rogue fracas — dans ce feu grégeois d’étincelles qu’est le maquis des toits. C’est toujours là, sur la pierre aiguë des clochers, comme s’il n’y avait plus — réel — que ce désir de mort, de vie, de fraîcheur et d’effacement. Écouter. A N’y aurait-il que l’herbe, le silence égrené par les doigts du Vent, ce vide au beau moyeu de l’air tournant comme une roue… Roussi de prés fanés, fumants, n’y aura-t-il que l’épandage frais et cuisant de la lumière qui se rouille dans le courant du jour, au gué, quand le char de l’Aube a versé ? Et, c’est toujours sur cette pierre aiguë qu’il verse, aiguë — rogue fracas — dans ce feu grégeois d’étincelles qu’est le maquis des toits. C’est toujours là, sur la pierre aiguë des clochers, comme s’il n’y avait plus — réel — que ce désir de mort, de vie, de fraîcheur et d’effacement. B Comme un souvenir, un regret, si les choses, les objets fourmillent sous la peau des choses… — faut-il les déshabiller ? Je ne vois plus la vérité de ce grand os abandonné, qu’habille toute nudité, ici, qui le rehausse. Je ne me soucie plus de ce grand squelette alchimique, où, translucide, soudain, l’opaque s’ouvre à la transparence. En d’autres termes : la mort n’est peut-être pas bien ce terme où l’éternité se fixe d’avance ; et, qu’importe la mort, si je recouds, souple, ténue, toute la danse de la chair du corps vivant des choses nues, autour. Peut-être qu’après tout le sens survit à la substance. Peut-être qu’après tout toute caresse est plus réelle que la chair qui plie, se dérobe… Ainsi, comme ces amputés, sentons-nous encore — peureux, douloureux, — ce fragile frémissement ondoyeux de la chaleur, de la vie, avec les paumes et les doigts de mains depuis longtemps absentes. C Lorsque le sage, pour « traver » l’impermanent exorcisme, abolissant la pesanteur assise aux arêtes même de l’air, sépare d’un seul trait l’horizon du papier, lorsque le sage, d’un seul trait, crée l’absence sans fin rêvée de cette pesanteur assise au fil froid du biseau de l’air, laquelle nous noyait à force de saigner… : — c’est le monde, qu’il refait d’un seul trait, sur le papier, démarquant la ligne des eaux, de la terre et du ciel, par ce trait tel un feu larvé. D Le Verbe s’est fait chair, la pensée doit se faire action. E Ce que le soleil dissout avec l’eau parmi les innombrables visages que vêt la terre sous l’écorce… ce que la pourriture aussi recompose à sa fantaisie et détourne… — ô Beauté hauturière, tourbe flagellée qui emplit d’avenir ma bouche, et, que je rends en mots : je t’ai remerciée pour tes morts, que chaque jour je fais renaître, et pour jamais, je te défie… F Au déboulé de ma parole, j’ai couru. Il y avait un homme à genoux qui croyait chanter au coeur du supplice. Je l’ai relevé. J’ai couru. Il m’a ratrappé pour tuer mon ombre.Je lui ai dit : — « Frère… » Il m’a dit : — « Va-t-en ! »Je lui ai dit : — « Pars… » Il m’a prié : — « Reste. » J’ai eu beau marcher pour mettre entre nous le poids des orages. J’ai eu beau cracher sur sa face les ombre moisies de la pluie, l’affadissement des étés tiédis par l’enfance, et, mes remords aux dents de squale, et, mes espoirs au yeux de loup. Il m’a suivi, partout.Alors, m’asseyant harassé sur l’aire, où le blé pourrissait avec le fléau et l’araire, je lui ai dit : — « Faisons un pacte. » Et, il a ri. La fleur du Soleil a tourné comme un timon fou dans ma tête. Je devins un puits perçant dans l’espace, un œil rond à même l’iris de la Nuit. Puis, les deux bras en croix, je tombais dans la boue. Des crachats et des plaies sans nombre saluèrent cet avènement imprévu. Une foule indéchiffrable, imprécatrice, me désignait en réclamant : — « Justice ! » Je crois, que je dus mourir là, une fois encore ; une fois, que je crus la première.C’est le Rossignol, qui m’accompagna dans la mort.Et l’Alouette m’éveilla dans les labours,et me hissa jusqu’au soleil de Mai.Quand elle retomba, je me levai d’un coup.Et, j’appris alors à marcher. G Quand il advînt, que je fus à nouveau nu devant l’autre, le lit pierreux du contre-jour charriait un sang banal. Un serpent soufflait dans les ronces de courtes flammes de feu bleu. Je dénouais d’abord mes veines, pour que tomba mon cœur avec ma chair future (l’invisibilité me va comme un sourire siamois, frère du grand Bouddha et de l’Ange de Reims). Je dépliai l’air pour ne pas froisser le silence. Désincarné, je m’incarnais enfin dans le haut palabre de l’arbre et du vent. H Résumant l’oiseau au roseau,et ce souffle moussant au muffle embué de la bête qui dort à l’humide borée ruisselant sa rosée dans l’aube,je réveillais sa flute et Pan, endormis sous les saules. Dionysos ne tarda pas à faire écho. D’un pied de chèvre folle, et sur, il escalada les montagnes, sautant d’un à l’autre sommet. Lorsqu’il fut au mitan du jour,l’horizon fut déposé de son poids de ville et de tours. L’ancien paysage, perdu, reprit et sa place, et ses droits. On s’apperçut alors — personne ! — que la couleur, et jusqu’à l’ombre, avaient été cachées dans le profondeurs de la terre, par le dernier sage sans doute, avec le chaos du grand couac. I Je mets le doigt dans l’oeil de la mort, puis tant qu’à faire tout le poing. — Elle pleure. J C’est un sel improbable et neutre, échappé du ventre de quelque faille géographiquement indéterminable, qui dut résoudre ma pensée, la dissoudre, la transmuer en un phosphate. Le paysage intérieur n’en parut pas d’abord changé, pas plus qu’un désert dont les dunes se sont insensiblement déplacées de plusieurs mètres francs, découvrant de la sorte un sol inscoupçonnément neuf et vierge. La première pousse ne se différencia pas plus du minéral que l’insecte mimétique du végétal qui le cèle ; mais, dans l’air dur et bleu, ses ailes se déployèrent, s’ouvrirent, claquèrent, franchirent les paliers de l’air en se délitant tel un schiste. La vie apparaissant et se faisant forêt en devenait aussi montagne.Je la gravis, léger, libre ; d’évidence, de là-haut, je vis ce que comprendre signifiait : simplement voir.Car, du haut de soi, l’étendue seulement bordée par l’étendue et le silence, dans le vide absolument vide, oui, de l’air, désencombré, avec, pour seule foi, l’acquiescement lavé et coi à l’éternel remaniement de cette terre, tour à tour désert et chanaan, c’était cela. — Ne l’avais-je toujours senti, déjà ? K Il suffit de déplacer les montagnes, c’est simple. Les abstraire, les soustraire, pour se multiplier de leur hauteur particulière, hostile, jusqu’à la rendre singulière. Il n’est question que d’ordre ; point besoin d’ajouter. Puis, peu à peu, je sais tel un aérostier expert : je viderai de moi le sable des montagnes par dessus bord, pour m’élever. L Longtemps, je fus ennemi de l’oxyde cloisonnant l’air et l’assignant en chambre closes pour soumettre en un semblant d’ordre l’apparent désordre des choses. Je fus aussi ainsi bâti contre les choses, contre moi, tenu à résidence ; et, parce que je persistais à vivre, entre ces murs de verre irréels, pire : inexistants, forteresse folle, bouclé, îvre d’étouffement, de vie viciée, attiédie, on me proclamait fort, ces fous que l’on nomme : « parents ». Dès mon premier souffle, on m’avait gavé du goût du désastre : ce fut mon lait.J’aurai pu me nourrir d’étoiles, mais des seins des femmes coule aussi la peur des grands astres, trop beaux, trop loin. D’affreux hommes en noir se vengèrent sur moi d’être nés, d’être morts, qui professaient leur incertitude avec rage en me murmurant :— Soumets-toi ! Adore cette transparence qui te retient ici, renonce au monde et à ses vains dilemmes ; vois ces beaux angles purs te démarquant tout l’avenir, ce bel air irridié qui ne se corrompa jamais, ta vie et ce temps arrêté, suspendu… ô la sainte immobilité ! Ils me tuèrent, tuant Dieu qu’ils prenaient pour leur meurtrier sans qu’ils osassent l’avouer.Quel Dieu, mon Dieu, oui, quel Dieu ? O quel Dieu-monstre avaient-ils donc ces hommes en noir monstrueux ? M Le blasphème lui-même est une porte ; encore faut-il la pousser ! passer outre…— Encore une autre façon d’entrer…— Une autre !… N Il ne suffira pas de résoudre : la chair de l’air transpire au-delà de tout l’horizon. Dernier, le Soleil se déboute au delà du vacarme blanc, presqu’étal, du silence premier de la terre et des choses. Déjà le Vent — perdu naguère — de tout commencement (ô sourd ! ô seul ! ô premier !) de nouveau neuf, exhumé, souffle du souffle, ce blanc.Voilà, voici, ce Verbe : voix, ici. L’incise mer de la cendre se recompose avec sa houle, la poussière des os premiers des foules. Voilà, voici, voix, ici, là, ce Verbe… — Mots. Les nuages électriques, les minéraux du premier jour du premier homme se réassemblent, debout, dans ce firmament de soleil, sommeil, haut, si, haussé, si liquide ! Péninsule dans cette mer, naissance. Je nomme ce corps et la mer où ce corps est côte. Ce corps et la mer — écume et la vague — où la forme naît. O Silence. Prémisses. Peut-être.La mort se couleuvre dans l’air tranchant. — Ah ! montagne, où la broussaille sèche du soleil ne se consumme pas ; et le gong tangible de l’horizon qui se rétracte après le coup, sa chair… Ce dur besoin de devenir qui nous écrase et nous laboure aura-t-il ses semailles ? Demain tarde, nous laisse en friches, seuls. Chancelante ivraie de l’attente ; et l’attente nous en épouille…Après le couteau et le soc, j’espère, je réclame l’incurable blessure à jamais béante d’un corps enfin à ma mesure. P Le désert ne dessine pas de montagnes pour rire, ni pour l’ombre. Et, l’oasis, qui, en son corps, entre des arbres, molle et dure, perdure son bel œil d’eau, c’est bien un sexe. Aveugle quiconque ne sait pas sentir en la terre la part humaine, la silhouette féminine en sa gracilité massive, offerte ; car, tout sort de ses reins comme à jamais, ou de son cul. Q Il fallut introduire un souffle dans le vent pour qu’il put enfin contenir l’écho tout entier. Il fallut introduire un souffle dans le vent […]. R Bienheureuse inquiétude. — Quand tes deux seins légers, levés sur ma poitrine comme sur l’horizon à l’aube le soleil ; quand tes deux seins refont l’aérienne machine des ailes ; que nous quittons la chair pour regagner l’air, un instant, pour nous reconnaître chez nous dans cet autre monde hors de nous et comme pourtant au dedans […]. S Banal sur notre dos, et, le traversant de son bec — oiseau de proie — fatal et sot. — Libre. Et comme sur un soc, tombé du ciel, son lourd bec imbécile d’oiseau de proie, fatal et sot. T Ah, si n’était ce lourd écroulement du monde fondant de tout son poids banal sur notre dos ! Si le ciel, ni nous, ne connaissions cette ombre, et, comme un soc tombé du ciel, son lourd bec imbêcile d’oiseau de proie fatal et sot ! Si la plaie devait épargner notre chair, et son double ! Si notre coeur devait garder son sang, sans qu’il en aille, par cette plaie, répandre, pour ce lourd baptême d’un jour sauvant la terre et l’achevant ! Mais, nul n’est sauf ; pour vivre saint, il faut bien cet enfer. U Te voici, femme, avec tes boues, charriant tes morts. V Quand la forêt brûlera, des animaux en sortiront, que vous ne connaissiez pas ; ils entreront dans vos palais. (Ils brouteront le petit foin des mitres, des crosses, des sceptres, que, dans leur rêve, ils ruminaient avec la faim, îvres de froid). Ni biches, ni loups, ils vous parqueront. Ni biches, ni loups, ils vous traiteront en animaux dangereux et vous feront porter le mors de leur raison et de leur droit.— Ils feront chère de roi. W Ce ciel mouillé de velours nu. Ce long chemin de ronde usée, où je marche parmi les ombres, est posé sur la cheminée. — Beau soleil, arbre creux qui démontez le mur, j’ai décousu votre blessure comme un fou, ton reflet : ce sac où l’on me jettait dans les eaux sales des journées […]. X À venir. Y À naître. Z À être. Voix (poèmes)