« Ode à Kadhafi » : Appel à con-cours

Le « Pays des Droits de l’Homme » « s’honore » de la visite pendant cinq jours du Colonel Kadhafi, Le « Guide [Suprême] de la Grande Révolution de la Grande Jamahiriya Arabe Libyenne Populaire et Socialiste »… ex-chef, pendant longtemps, d’un État terroriste. Après les félicitations au Président Poutine du Président de la République, des Françaises et des Français, citoyennes et citoyens à part entière eux aussi, s’interrogent…

En cette « journée internationale des Droits de l’’Homme », plus pragmatiquement en ce jour béni pour le Dieu Euro, où, pour cinq jours — cinq jours durant ! — le Colonel Kadhafi vient opportunément honorer la France de sa visite officielle et de contrats subséquents, je crois utile de proposer aux « poètes de France », qui depuis l’époque postmoderne ne savent plus à quels saints se vouer, un exercice — entre tous louable, — qui, hélas, s’est perdu avec les grandes idéologies : « le poème de circonstance ».

Comme la pratique en est devenue depuis trop longtemps obsolète, je propose ci-dessous quelques modèles :

Jamais nos champs fertiles n’ont donné une telle moisson.
Jamais nos villages n’ont connu un tel bonheur.
Jamais la vie n’a été aussi bonne et les esprits aussi élevés.
Sur toute la terre, le soleil lance une lumière plus chaude
Car la face de STALINE le fait briller plus fort.
Je chante pour mon enfant reposant dans mes bras.
Tu apprendras la source de ce soleil qui baigne notre pays
Et tes petites mains copieront le portrait de STALINE.

[Poème composé en 1939 à l’occasion du 60e anniversaire de Staline, et paru dans La Pravda, journal quotidien du Parti Communiste d’Union Soviétique.] « […] Et STALINE pour nous est présent pour demain
Et STALINE dissipe aujourd’hui le maheur
La confiance est le fruit de son cerveau d’amour
La grappe raisonnable tant elle est parfaite « Grâce à lui nous vivons sans connaître d’automne
L’horizon de STALINE est toujours renaissant « STALINE récompense les meilleurs des hommes
Et rend à leurs travaux la vertu du plaisir

« Car la vie et les hommes ont élu STALINE
Pour figurer sur terre leurs espoirs sans borne.

[Paul Éluard, « Ode à Staline », 1950.]

Pour s’exercer, se donner des idées avant de composer leur propre texte d’hommage, nos poètes impétrants et concurrents pourront opportunément déjà remplacer le nom du « Petit Père des Peuples » par celui du « Guide de la Grande Révolution de la Grande Jamahiriya Arabe Libyenne Populaire et Socialiste ». Cela leur fournira une sorte de canevas, de modèle.

Con-cours est lancé donc, comme aux grande époques historiques où la Démocratie « Populaire » régnait. Que tous les poètes de France se mettent à leur plume pour honorer notre Visiteur de Marque. Des diplômes calligraphiés et encadrés, signés du Ministre Français de [de quel ministère, au fait ?…] gratifieront les plus valeureux de nos plumitifs, ainsi qu’un photomontage dédicacé par le « Guide de la Grande Révolution » des épaves du Boeing 747 de la PanAm explosé par les services secrets lybiens au-dessus de Lockerbie (ayant fait 259 victimes à bord et 11 au sol) et du DC 10 d’UTA explosé par ces mêmes services secrets au dessus du désert du Niger en 1989 (ayant fait 170 victimes américaines et françaises). (269 + 11 + 170 = 450, à quoi s’ajoutent les innombrables victimes des autres attentats commandités, ainsi que les innombrables victimes des prisons lybiennes : c’est ce qu’on appelle : « une signature de poids ». Cette signature rappellera au reste — pour rappeler que « rédemption » doit toujours être possible [ce qui est vrai, mais pour les victimes qu’en penser ?…] — que le gouvernement lybien a signé face à la communauté internationale ces deux attentats, et s’est au reste engagé à indemniser les familles des victimes et françaises et américaines.)

Nos poètes officiels en herbe ou en gazon — poètes en herbe folle ou en chiendent s’abstenir — pourront trouver ci-dessous des éléments informatifs qu’ils pourront opportunément glisser dans leur composition pour marquer à jamais à la face des siècles cet événement hystérique : après plus de trente années, Mouammar Kadhafi, foule le sol français, reçu avec tous les honneurs par le Président de la République en personne, incarnant à lui seul toutes les valeurs immortelles et inaliénables du « Pays des Droits de l’Homme ».
Voici les thèmes, Mesdames, Messieurs, brodez, brodez… :

1°) Le porte-parole de l’Élysée, David Martinon a annoncé que « lors de cette visite un certain nombre d’accords seront signés ». Pour exemple, la finalisation de contrats dans le domaine de l’agriculture et de la santé, mais également de l’énergie, du nucléaire. Un « memorandum d’entente » dans le domaine de l’énergie nucléaire civile a au demeurant déjà été signé le 25 juillet, lors de la visite de M. Nicolas Sarkozy à Tripoli. « L’objectif est de coopérer en vue de l’installation en Lybie d’un réacteur nucléaire pour fournir de l’eau de mer dessalinisée » a expliqué Claude Guéant.

2°) Des contrats de ventes d’armes seront signés durant ces cinq jours, puisqu’il n’y a plus d’embargo sur les armes à destination de ce pays.

3°) Dassaut Aviation, Thales et la Snecma ont déjà signé pour la « remise en vol » des Mirages F1 lybiens qui manquent de pièces de rechange depuis les anciens embargos ; une première tranche de 12 Mirages sur les trente va d’abord pouvoir bénéficier de cet accord. En outre, le « Guide de la Révolution » et le Président de la République s’entretiendront sur l’importante question de l’intérêt manifesté par Monsieur Kadhafi pour le chasseur bombardier « Rafale », déjà présenté en vol sur le territoire lybien en 2006 et 2007.

4°) Cette rencontre de cinq jours de M. Kadhafi verra également la finalisation de nombreuses négociations commerciales avec la Lybie pour des entreprises françaises, franco-allemandes, franco-italiennes-allemandes.

5°) Après les rencontres prévues, avec, par exemple : Monsieur le Président de l’Assemblée nationale Bernard Accoyer, et des parlementaires français à l’Hôtel de Lassay, Monsieur Kadhafi ayant fait installer une tente chauffée dans les jardins de Hôtel Marigny, résidence officielle des hôtes de l’Élysée, pour recevoir « conformément à la tradition du désert », après avoir finalisé des partenariats permanents avec L’Institut du monde arabe, L’institut national de l’audiovisuel et le Louvre… verra des personnalités du monde culturel … et du medef.

Voilà. Poètes de France : à vos plumes !…

POST-SCRIPTUM :
Un con-cours annexe est lancé également dans la section « Peinture » : il s’agit de relancer le genre trop longtemps dédaigné de « La Peinture d’Histoire ». L’événement national devra ainsi être représenté sous la forme de projet de fresque monumentale. Les Œuvres retenues pourront décorer — par exemple — toute la surface de plafond des stations du métro parisien, pour concurrencer enfin le métro soviétique moscovite, qui, on le sait, est le plus beau du monde.

CITOYENNES, CITOYENS !… SOYONS FIERS : LES LENDEMAINS QUI CHANTENT — POUR L’EURO [entendez le Grand Capital] — SONT LÀ !… [pour ce qui vous concerne, attendez, et serrez votre ceinture] CAR L’EURO QUI CHANTE, CELA N’A PAS DE PRIX, CAMARADES !… Vous allez voir qu’on va vous dire qu’« on vous a trouvé du boulot », enfants que vous êtes. LA RÉPUBLIQUE S’EXPORTE AU PLUS OFFRANT. ON SOLDE !…

[Kadhafi à Colombey, à ce qu’en dit une partie de la presse ?… Vraiment ?… ou c’est de l’intox ?… Qu’en pense l’Amiral de Gaulle ?…]

[Rajout du 12 décembre : Pour celles et ceux qui voudraient compléter leur lecture : cet utile corrélat : une brève du 16 septembre qui envisage un lien possible déjà entre M. Sarkozy et Napoléon III : http://utopiktulkas.free.fr/polaire/spip.php?breve8 à l’époque je ne connaissais pas l’existence de l’article d’Edwy Plenel paru le 11 mai 2007 dans le journal belge Le Soir, où il inaugure cette analogie, qui risque — hélas ! sauf démentis formels et concrets de la part du Président — de s’avérer pertinente ; c’est en effet ce qui se profile compte tenu de certains dérapages de plus en plus fréquents. Alain Finkielkraut vient aussi, ce 11 décembre, de prendre position contre l’attitude de Monsieur Sarkozy vis à vis du dictateur lybien, contre son initiative privée qui engage la République, alors même qu’il n’en est que le représentant élu et mandaté. Seulement deux questions : « Le Général » — dont M. Sarkozy se revendique si souvent — aurait-il reçu M. Kadhafi ainsi et pensait-il que l’argent seul pouvait [re-]consitituer l’âme d’une Nation, que la conquête des marchés justifiait tout ? Politiquement, soyons “réalistes”, oui… simplement pas au sens où la « real politic » l’entend. Il me semble que Jaurès, Péguy, De Gaulle ou Malraux — pour ne citer que quelques ombres tutélaires invoquées par « qui vous savez » — nous avaient appris qu’en politique le réalisme devait comporter aussi un soupçon de ce que Rostand appelait « le panache », de que Novalis appelait « le réalisme magique », afin de donner à chacune, à chacun, la fierté d’être et de participer à cette aventure qu’on appelle « une Nation ». Seulement voilà, en pleine période postmoderne encore où ne triomphent que le cynisme et l’esprit de dérision, qui croit encore à la Nation ? Voir à cet égard les déplorables élucubrations de M. Jean-Luc Nancy, l’un des derniers survivants parmi les gourous du postmodernisme, gourou de substitution — les soi-disant “grands” étant morts déjà, — et ses “conclusions”.]
[Parmi les autres corrélats, une lettre au Président de la République datée du 25 août 2007, qui s’interrogeait sur la paupérisation galopante des classes populaires et des classes moyennes dans ce pays, qui n’a d’égale que l’enrichissement exponentiel des plus riches.