À propos du « Devoir de Mémoire » Paul Roos, 17 février 200810 août 2023 Le mardi 5 février dernier, dans les locaux de la Fondation de Lille, notre cher ami Paul ROOS, frère de victime de la Shoah, Président honoraire des Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation, au nom de l’A.F.M.D. & de la F.M.D. de Paris, donnait une conférence sur le thème du « Devoir de Mémoire ». Avec une ferveur amicale et citoyenne, nous en reproduisons le texte ici. Puissent les jeunes et le public adulte recevoir le message toujours d’actualité. TEXTE DE L’INTERVENTION, LE 5 FÉVRIER 2008, À « LA FONDATION DE LILLE », DE NOTRE AMI PAUL ROOS, PRÉSIDENT HONORAIRE DES AMIS DE LA FONDATION POUR LA MÉMOIRE DE LA DÉPORTATION, L’A.F.M.D. du NORD. PRÉAMBULE Permettez-moi d’ouvrir cette rencontre en rappelant trois noms auxquels je dédie les propos que j’ai réunis : Le nom de mon frère puîné, Pierre ROOS, inscrit au Mur des Noms du Martyre du Juif Inconnu du Mémorial de la Shoah de Paris. Déporté à Auschwitz, victime de la persécution nazie, il disparut quelques jours avant ses 16 ans, mourut sans recevoir de sépulture, porté décédé le 10 janvier 1945 à Gleiwitz, « mort pour la France ». Le nom de Robert VANOVERMEIR, lié à l’Association des Amis F.M.D. [1] du Nord que nous avons créée ensemble, voici presque huit ans. Il fut résistant-déporté, bien connu et apprécié de ses amis de la FNDIRP [2], association amie qui a parrainé notre création à Lille. Il manque à tous, et sa disparition laisse un vide qui n’est pas comblé. Le nom vivant de Mme Marie-José CHOMBART de LAUWE, Présidente de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation. La F.M.D. [3] est en quelque sorte la soeur de la F.M.S. [4] que préside Mme Simone VEIL, Présidente honoraire, et M. David de Rothschild. Marie-José CHOMBART de LAUWE est une grande figure de la Résistance et du monde de la Déportation. Ses travaux de recherche en sciences humaines font référence. Je lui porte estime, admiration, et lui dis ici mon dévouement à la lutte que nous partageons contre l’oubli qu’elle a engagée avec ses camarades Résistants et Déportés depuis son retour de captivité. Tirées des Actes de colloques, ses communications vont étayer quelques-uns des propos de ce soir. J’ai par ailleurs utilisé de la bibliographie, notamment l’ouvrage écrit par Jean-Yves et Marc TADIÉ Le Sens de la mémoire aux éditions Gallimard et Le Chercheur d’ Absolu — Textes de combat dans l’ouvrage de poche écrit par Théodore MONOD publié chez Folio. Mesdames, Messieurs, en vos qualités, grades, et fonctions,Chers Amis, La Fondation de Lille, son Président, M. Pierre MAUROY, les membres de son C.A. [5], par le biais de l’Association de ses Amis, nous font le grand honneur de nous accueillir es-qualité des « Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation », de me donner la parole en ce lieu prestigieux de la Ville de Lille, pour évoquer devant vous ce que l’on convient d’ appeler « le Devoir de Mémoire ». Je les remercie de me donner cette tribune et je remercie sincèrement M. Charles PROY et Mme Delphine VANDEVOORDE, organisateurs de notre rencontre. Ma voix est celle des Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation, et je m’exprime au nom de nos camarades et Amis membres de la délégation du Nord et du Bureau que Préside Mme Odile Louage, que je salue. Nous représentons localement la Fondation F.M.D. qui est nationale. Je rappelle qu’elle a été créée pour pérenniser la mémoire de la Déportation et de l’Internement organisés entre 1933 et 1945 par le régime nazi et ses alliés, pour transmettre la mémoire des génocides des Juifs et des Tsiganes, la mémoire de la répression exercée à l’encontre des Résistants, la mémoire des exactions de tout genre infligées aux populations. La F.M.D. participe ainsi à la défense et au développement des idéaux de paix, de liberté, de dignité de la personne humaine, des « Droits de l’ homme », ainsi qu’à l’ élargissement du champ d’action de la médecine de catastrophe. Elle combat le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie.* Je ne veux pour rien au monde que cet entretien — qui, je l’espère, sera suivi d’un débat-échange fructueux avec les auditeurs — laisse le souvenir d’une sorte de leçon infligée à des élèves, de quelque chose de froidement professoral. Ni qu’il soit — même au sens pascalien du mot — un simple « divertissement ». Le sujet est austère, cruel, et l’on ne s’y plonge pas comme l’on se jette dans une piscine, pour s’ébattre. Je souhaite tout au contraire au lieu d’oublier le réel, et de méconnaître l’indicible gravité de la problématique, d’accepter de regarder la situation bien en face, d’en mesurer les périls et les devoirs, et de puiser dans cet effort difficile mais salutaire des raisons nouvelles de croire en l’ homme, d’espérer et d’agir. C’est peut-être à un certain effort intellectuel que je vous convie ce soir. J’aurais à m’en excuser devant des enfants. On a le droit de le demander à des hommes et à des femmes. Je tâcherai de vous parler simplement de choses pénibles, insupportables, sans pathos, sans éloquence, vous apportant non certes l’écho d’une propagande, mais l’expression d’une conviction qui s’est constamment fortifiée au cours des dernières années et qui peut s’exprimer librement, et ne saurait refuser à ce redoutable devoir du témoignage qui m’amène aujourd’hui devant vous. Ainsi m’efforcerai-je ce soir avec votre participation, d’approfondir un instant le patrimoine historique et mémorial de l’Internement et de la Déportation, dans le sens qui s’appelle « le travail de mémoire » pour offrir à chacun une approche citoyenne, celle qui développe l’esprit critique et enrichit les connaissances, ouvrant ainsi peut-être, le chemin vers un monde meilleur et plus éclairé.* […] L’ homme commence sa vie comme un enfant freudien ; frappé en apparence d’amnésie, il a refoulé dans l’inconscient toutes ses blessures. Il grandit comme un bergsonien : sa mémoire sert à l’action, elle est toute pratique et tournée vers l’ avenir. Baudelairien, il retrouve le passé dans un parfum, dans une musique, dans la correspondance des cinq sens. Avançant en âge, voici que devenu proustien, des extases de mémoire involontaires lui font revivre le passé , peut-être même échapper au temps. Bientôt il vieillit comme Chateaubriand, ses souvenirs ne le consolent plus. Sophocle lui avait montré le chemin d’Oedipe à Colone, celui de la sérénité après un passé chargé, sanglant. Peut-être s’est-il égaré sur la lande où le roi Lear clame sa démence à tous les vents, là où il n’ y a plus de mémoire pour personne. Ce raccourci littéraire emprunté à Jean-Yves et Marc TADIÉ définit mieux que je ne peux le formuler, la complexité et les sens (significations) divers et nombreux de la mémoire. Le défi à relever ce soir concerne les combats à mener dans le paysage de la mémoire, dans notre façon de penser et surtout d’agir. Un mot sur le savoir concernant la mémoire qui est impressionnant ; il s’appuie sur trois séries parallèles d’intellectuels : les Écrivains retracent les expériences qu’ils vivent eux-mêmes ou par procuration ; (personnages de romans, de théâtre, les poètes…). Les Philosophes depuis Platon et Aristote… analysent, proposent des problèmes, émettent des hypothèses, énoncent des concepts. Les Savants partent d’expériences, avancent des descriptions… qui sous-tendent leurs théories… n’excluent pas les postulats matérialistes ou spiritualistes. Le tout semble donner corps à une seule recherche immense et qui permet d’écrire que « c’est la mémoire qui fait l’homme ». Mais, on observe que « le recours à l’ oubli » est une tendance naturelle : regardez le déni, mécanisme de défense expliqué par la psychanalyse, écrit Boris Cyrulnik , tout le monde le pratique ! Pour soigner « le mal de mémoire » la psychanalyse prône un retour de mémoire et non une destruction du souvenir : « [… ] C’est l’ émotion qui donne un sens aux évènements de notre vie. La seule façon d’atténuer le caractère écrasant d’un souvenir traumatique passe par l’élaboration de cet évènement », évidence pour Jeanne Defontaine du Collège de psychanalyse familiale. Tous sans exception reconnaissent le pouvoir thérapeutique de la parole. « […] La seule façon d’atténuer le caractère écrasant d’un souvenir douloureux passe par la parole qui, loin d’effacer le traumatisme, l’ affronte et le le travaille »renchérit Jeanne Defontaine. Entre « pilule de l’oubli » ou « maîtrise de la pensée », ce sera à nous de choisir. Pour vous parler de « devoir de mémoire », j’adopterai le plan suivant :1°) Le décor dans lequel s’organise l’internement et la Déportation2°) La mémoire vivante pour en faire une mémoire d’enseignement3°) Le passé pour découvrir un sens éthique et politique4°) Esquisse d’une conclusion.* Certains en France, dès 1940 et les années suivantes, furent indignés par notre défaite face au IIIeme Reich dirigé par Hitler. Ceux qui avaient refusé cette acceptation avaient dénoncé la férule de plomb et le poids du joug du nouvel occupant allemand ainsi que les règles du gouvernement de l’État Français de Vichy. Quelques-uns entrèrent dans la clandestinité, devinrent des Résistants ; ils furent pourchassés, arrêtés, poursuivis dans certains cas ; ils devinrent rapidement les premières cibles de la répression allemande et vichyste collaborationniste. Quand arrêtés, ils ne furent pas fusillés immédiatement, ils furent incarcérés, puis internés et envoyés en déportation. Ils retrouvèrent les premiers opposants, mêmes victimes du régime du IIIeme Reich, ceux qui déjà avaient été écartés de la vie de leur pays par le système nazi. L’histoire de la Déportation et de l’internement qui s’y rattache, très souvent, est souchée sur des moments cruels d’expériences de vies tragiques inhumaines. Les Déportés de la répression de France rejoignirent ces premiers détenus, les disparus de Nuit et Brouillard… ceux dont Hitler avait décidé d’effacer à jamais l’existence, ordonnant de les couper de tout en les enfermant dans des camps où ils devaient disparaître : ils furent les premiers prisonniers N. N. des camps nazis. Les étrangers vivants en France, suspects de représenter un danger pour les autorités occupantes, devinrent d’autres cibles : ils furent avec les Juifs et les Français israëlites tous traqués sans fin durant l’occupation. Avoir une ascendance hébraïque était une tare indigne aux yeux des dirigeants du régime du IIIeme Reich. Cela devint potentiellement plus qu’un danger ; cela représentait une condamnation à mort, inscrite.* Être juif privait de tout droit à l’existence, à la simple vie d’homme et de citoyen, représentait un risque mortel : le gouvernement du Reich allemand s’employa cinq années à exterminer dans l’ Europe tous les Juifs ainsi que certains groupes indésirables à leurs yeux, et les Tziganes. Ils furent ensemble les malheureuses victimes d’arrestations et d’une sévère déportation de persécution. Ils sont encore aujourd’hui quelques-uns à avoir connu cette situation, à avoir vécu l’abjection de l’internement, l’enfer des camps, quelques « sortis-vivants » de l’horreur ; ils ont tous des souvenirs effroyables d’une longue période noire et funeste. Les rescapés vivant aujourd’hui n’ont pas oublié les humiliations, les maltraitances, ni certaines tortures cyniques, indicibles, quand il s’agissait d’expériences médicales contraires au respect élémentaire de la personne, pratiquées sur des enfants ou des femmes ! Ils eurent tous à supporter une destruction physique et morale progressive, organisée pour les déshumaniser ; ils eurent à affronter toutes sortes de pratiques honteuses, atroces, les conduisant vers une « mort lente » instituée en règle et en objectif. Les camps de déportation furent aussi des camps de travail forcé de bagnards — le statut de détenus en faisant des esclaves — réunis dans des Kommandos de travail mis à la disposition des dirigeants de l’industrie de guerre allemande. Telles furent ces vies quotidiennes dans les camps de concentration nazis, au système dévoyé ouvert sur le « mal absolu ».* Les survivants sont des témoins, encore et toujours, obsédés par le souvenir machiavélique des« sélections »auxquelles eux-mêmes ont échappé, désignation tragique signifiant une mort immédiate dans les chambres à gaz, suivie d’une disparition totale définitive dans les fours crématoires. Certains camps d’extermination fonctionnaient jour et nuit, étaient de véritables centres de mise à mort. Quelques déportés ont, malgré tout cela, survécu à cette folie nazie. Ils en parlent maintenant. Leurs paroles parviennent enfin jusqu’à nous par le biais de leurs récits largement accessibles. La démarche, si elle ne fut pas immédiate, a exigé de leur part du temps et du cran. Ils sont déterminés, conscients de leur mission difficile, êtres éprouvés, restés le plus souvent discrets sur cette partie d’un passé lourdement douloureux ! Leurs conditions de survie dans les Lager [6] nazis évoquées suscitent toujours émotion, compassion, interrogations, et les auditeurs de tels récits reçoivent en pleine figure l’expressivité d’une mémoire vivante à vif, personnalités écorchées à jamais. Ils racontent tous comment ils partagèrent la misère physique et morale ; ils rappellent l’ignominie qu’ils eurent à subir, l’infamie de situations qui ont marqué de leurs meurtrissures leurs êtres de chair. Ils n’ont rien oublié. Chaque récit est une aventure spécifique, celle d’une histoire au milieu des autres apparemment identiques, et pourtant chaque fois différente, même si chaque histoire ne fût pas vécue au même moment ni dans le même camp.* Toutes ces expériences cruelles, le plus souvent mortifères, ont laissé des traces sombres : elles appartiennent à l’inadmissible. Ce fut la honte du XXeme siècle ! Alors, direz-nous, pourquoi cet étrange acharnement à vouloir évoquer tant d’abominations, à remuer ce qui fait le scandale de l’humanité ? Parce qu’il ne faut pas enfouir les évènements de l’Histoire, ignorer la réalité. La Grande Guerre, comme « La Der des Der »ou comme le « plus jamais cela »ont été des évènements cruciaux de l’Histoire de l’Humanité : boucherie de la Grande guerre, hécatombe humaine dans le tourbillon des affrontements militaires des guerres mondiales devenues guerres totales, avec entre 1940 – 1945 en prime la « déportation » ! Le « plus jamais cela » d’évidence n’avait pas été entendu. Il ne l’est d’ailleurs toujours pas. Car, les crimes de guerre, tous les crimes contre l’humanité, les crimes contre la Paix, prospèrent quotidiennement, de ci, de là, sous nos yeux tout de même inquiets.C’est pourquoi très souvent, les rescapés de la Déportation et de l’internement ont un besoin profond d’engagement pour dénoncer les pratiques qu’ils ont subies, pour empêcher tout retour à de telles situations . Et, faisant cela, ils veulent et font connaître au plus grand nombre, l’ histoire de leur plongée en enfer. Il faut faire revivre la « mémoire »liée à l’oppression et au système concentrationnaire nazi. Chaque témoignage est un signal qui envoie des messages et laisse découvrir en filigrane l’objectif primordial de telles implications.* Faire côtoyer la réalité incroyable d’un passé cruel — univers de barbarie, — raconter la férocité inimaginable, pointer les traitements brutaux et, dire quel fût pour les rescapés le miracle du retour lorsque celui-ci s’est produit, faire enfin découvrir cette leçon de vie aux plus jeunes comme à tous les autres, expliquer comment peu à peu, chacun a retrouvé lentement, difficilement, avec une immense amertume, le chemin de la vie et de la lumière, est un Devoir. Personne, ne peut ne pas ressentir une agitation passagère, ne pas avoir de la fébrilité ni éprouver une réaction profonde en écoutant les récits de ces « passeurs de mémoire ». Entendre les vérités, mêmes les plus insupportables, évitera un jour, peut-être, que ne s’installent de pareilles situations inhumaines. C’est d’ailleurs une des raisons pour laquelle l’Histoire, la vie des générations et de nos Institutions est remplie, à longueur d’année, de commémorations. Par le fait de commémorer, d’avoir une attitude de respect envers ceux qui sont morts en faisant notre Histoire, on s’approprie de cette façon une posture morale collective. C’est aussi une forme de la déférence que l’on doit aux disparus. « Très bien » pourrions-nous dire ! La collectivité remplit ses devoirs et cette approche de la connaissance de notre Histoire donne à tous meilleure conscience. Mais est-ce suffisant ? Non ! Parce que le « Devoir de mémoire » n’est pas une « injonction ». Aucun travail n’est réellement accompli à ce stade ! En effet, rien d’actif n’a véritablement commencé !* Alors, qu’en est-il plus précisément ? L’envie d’un véritable travail de mémoire se déclenche, se produit, quand un individu un peu curieux, suffisamment tourné vers les autres, est conduit à s’interroger, à réfléchir, qu’il cherche une compréhension des évènements dont il entend soudain parler. C’est un phénomène imperceptible plutôt souvent inconscient ; il surprend, et en particulier celui dont la méconnaissance sur ces sujets est habituellement si profonde que certains négationnistes ou révisionnistes parviennent à l’abuser et à le faire douter de la véracité des évènements.Nous observons alors que les jeunes, mais tout autant les moins jeunes, sont réceptifs, sont particulièrement ouverts aux récits des témoins : ils sont à l’écoute avec gravité et attention. Ils prennent alors conscience, s’ils ne l’ont pas encore déjà fait, de la réalité de la violence inimaginable, de l’existence de la haine extrême, de la brutalité véritable de situations imposées aux victimes. Cette découverte de l’existence de l’univers concentrationnaire telle une catalyse, invite chacun à faire son examen de conscience.De tels agissements criminels peuvent-ils trouver une justification, avoir un sens ? On se rend compte enfin du désastre que provoquent les totalitarismes, toutes les formes de totalitarismes, de ce qu’ils ont détruit. On découvre, effarés, « les effets de la conjonction de l’ irrationnel idéologique et de la rationalité technique caractérisée dans chaque entreprise génocidaire ». On mesure les conséquences dévastatrices du phénomène d’ensemble.* C’est par la résonance des atrocités dont les témoins ont été les victimes que l’on prend conscience de l’utilité du « travail de mémoire » accroché entre autres aux témoignages. On comprend dès lors que c’est bien plus qu’un « Devoir » ! C’est en cela que les propos des témoins parviennent à souligner la puissance de la parole qui indique que le témoignage est bien plus fort que la barbarie, et comment elle s’oppose utilement à l’oubli. L’expression « SHOAH » est, reste la tragédie du peuple juif. L’Holocauste ou « la Catastrophe » apparaît désormais comme une sorte de boussole morale, le symbole du« mal éternel », de la « mauvaise nature », la métonymie du mal absolu. En parler, même si cela agace ou dérange parfois, met un terme à l’ignorance coupable. L »Historien Georges BENSOUSSAN a donné à cette maïeutique le nom de « mémoire d’ enseignement ». On peut découvrir en soi, et autour de soi, les moyens qui permettent de revenir à la vie et d’aller de l’avant tout en gardant la mémoire de sa blessure. Pour chacun d’entre nous, la vie est une conquête permanente, jamais fixée d’avance. Tout reste possible, dans un message d’ espoir, plein de tendresse et d’humanité. Les rescapés de cette sinistre aventure le démontrent et méritent outre notre admiration, un profond respect.* Quel sens éthique et politique le rappel du passé peut-il avoir ? L’avenir de l’Humanité s’édifie dans le présent en s’appuyant sur les leçons du passé. Toute l’organisation des sociétés, toutes leurs structures sont le résultat du travail des générations successives, de leur conception de l’homme et du monde, de leurs volontés politiques. Mais que retenons-nous des évènements qu’ont traversés les générations qui nous ont précédés ? La mémoire en a oublié certains, exalté d’autres. La représentation du réel est toujours connotée de valeurs positives ou négatives, des faits idéalisés deviennent de véritables mythes. Les déformations répondent à des besoins conscients ou non de groupes, de collectivités. La mémoire travaille spontanément. Pour dégager les leçons du passé dont nous avons besoin, un travail de mémoire est nécessaire pour cerner au plus prés la vérité historique et les valeurs que les hommes ont jugé indispensable d’ériger en principes intangibles pour protéger et faire progresser l’espèce humaine. LES DIFFÉRENTES MÉMOIRES : INDIVIDUELLES, COLLECTIVES, NATIONALES, CIVIQUESCe travail méthodique de mémoire nécessite de faire appel à plusieurs disciplines relevant du domaine des sciences humaines. En tout premier lieu, évidemment, il y a l’histoire qui tente de prouver la réalité des faits relatés dans des documents, des archives, des témoignages.La psychologieaide à mieux comprendre les mécanismes de la mémorisation dans le psychisme des individus et la formation des représentations sociales dans les groupes.La sociologie observe les produits de la mémoire, sa fixation en objets. La philosophie avec surtout l’éthique, réfléchit sur les valeurs, en évitant le piège de l’imposition autoritaire d’un ordre moral.La pédagogie reçoit la tâche de maintenir la mémoire vivante, intériorisée non seulement dans les connaissances des jeunes mais aussi dans leur vécu. Dans l’antiquité, les penseurs ont analysé la faculté de se souvenir. Le cerveau garde l’empreinte des expériences vécues pour chacun d’entre nous. Depuis, de nombreux chercheurs ont fait avancer nos connaissances en ce domaine, tel Bergson qui a su « concevoir que la mémoire n’est pas un réservoir, mais est avant tout action, projection,dynamisme, reconstruction. S’il a su parfaitement analyser les phénomènes du souvenir, il n’ a pas vraiment essayé de définir où se trouvaient nos souvenirs , allant même jusqu’à évoquer « l’esprit » [7]. »Aujourd’hui, l’ensemble de nos acquis permet de définir plusieurs types de mémoire. La mémoire individuelle est composée de multiples souvenirs. lls s’organisent en une mémoire, outil indispensable pour agir dans toutes les interactions de l être vivant avec son milieu. La mémoire sélectionne en ne retenant que les faits, les évènements perçus comme importants et utiles. À noter que la mémoire ne peut s’encombrer de la masse des informations reçues chaque jour. Parfois aussi, elle refoule, scotomise des souvenirs qui ont profondément marqué le sujet, mais lui sont intolérables au point de déstabiliser son équilibre psychique. L’oubli, les déformations de la réalité rapportée par des témoins d’un accident prouvent la fragilité de la mémoire et la subjectivité de chacun qui réagit en fonction de son passé et de son affectivité. Dans toutes les collectivités, il existe un fonds commun d’expériences empiriques transmises dans la vie quotidienne et de savoirs enseignés.En plus de la mémoire des individus et des collectivités, il existe une mémoire volontairement, politiquement, fixée, déterminant les évènements historiques qu’il faut commémorer, instituant des rites à respecter, procurant ainsi des repères dans le temps et l’espace.* Cette mémoire civique est constituée de choix effectués dans le déroulement de l’Histoire, qui dépendent des besoins de l’époque, des valeurs estimées nécessaires à rappeler, affermir et promouvoir. Donc s’appuyer sur les leçons du passé dans une société que l’on dit manquer de repères me semble un devoir, mais plutôt que de nous répéter que nous avons« un devoir de mémoire », je souhaiterais surtout que l’on effectue non seulement un travail de mémoire mais aussi un travail sur la mémoire. LES COMMÉMORATIONS : RÉALITÉ DES FAITS ET SENS DE LEUR CHOIXAssez récemment, en 1998, ont été commémorés une série d’évènements marquant la marche de l’humanité pour surmonter l’intolérance, les injustices, le mépris des êtres humains et édifier des sociétés où tout homme, toute femme, bénéficie des mêmes droits. En 2002 les ministres européens de l’Éducation ont adopté à l’initiative du Conseil de l’Europe, la déclaration instituant la Journée de la Mémoire de l’Holocauste et de la prévention des crimes contre l’Humanité dans les Établissements scolaires des États Membres. La France et L’Allemagne ont retenu la date du 27 Janvier, date de l’ ouverture du camp d’Auschwitz pour instituer cette journée du Souvenir. En 2005, l’Europe et la France ont amplement commémoré la sortie des camps, les 60 années séparant les Déportés survivants de leur libération. Les acquis que nous avons célébrés ont été souvent remis en questions, les défenseurs des droits ont dû à de nombreuses reprises réveiller les consciences et lutter pour préserver ces droits et les améliorer, parfois au péril de leur vie. Les commémorations d’évènements du passé nous interpellent face aux drames actuels. Il y a 400 ans, l’Édit de Nantesposa un premier jalon dans la voie de la tolérance à l’ égard des religions. Il fut révoqué. Trois siècles plus tard, le principe de la laïcité instaura la liberté de conscience. Celle-ci est aujourd’hui menacée, entre autres par des fondamentalistes qui manifestent l’expression la plus extrême de l’intolérance religieuse.Ceux qui ont obtenu le plus tardivement la reconnaissance de leurs droits de personnes humaines, les femmes et les enfants, sont les premiers menacés. En France, des intégristes s’opposent à l’interruption volontaire de grossesse, violant la loi. En Afghanistan, les Talibans enferment les femmes qui ne peuvent sortir sans être voilées de la tête aux pieds et accompagnées d’un homme de leur famille. Elles n’ont droit ni à la parole ni à l’accés aux soins et à l’éducation. C’est au nom de la Charia (constitution islamique ) qu’elles sont ainsi exclues de la vie sociale. En Algérie, des populations civiles sont massacrées au nom du Coran, alors que l’Islam authentique condamne de tels crimes.En 1848, la France a aboli définitivement la traite des noirs et l’esclavage.Les descendants des esclaves demandent que la mémoire de ce crime contre une partie de l’humanité soit davantage transmise et travaillée dans toutes ses dimensions. L’asservissement des noirs avait déjà été mis hors la loi par la Convention de 1794, mais rétabli par Napoléon. Des hommes et des femmes étaient vendus comme des objets. Du XVI au XIXeme siècle, douze millions de noirs auraient traversé l’Atlantique dans des conditions atroces. Les négriers en ont tiré d’énormes profits. Rendons hommage à Victor Schoelcher et aux philosophes des Lumières qui ont condamné la traite. Mais n’oublions pas que les « nègres marrons » et les esclaves révoltés d’Haïti, de la Guadeloupe, de la Martinique et de Saint Domingue où Toussaint LOUVERTURE, né esclave, prit la tête d’une insurrection, de l’insurrection noire pour la liberté. Ce Général noir républicain mourut dans une prison de Napoléon. La suppression officielle de l’esclavage s’est poursuivie, non sans luttes. Sa pratique n’a pas cessé sous diverses formes, dans le monde contemporain. Esclavage traditionnel, comme en Mauritanie. Travail forcé pour des enfants obligés de rembourser les dettes de leurs parents en Inde ou à Manille. Selon le Bureau International du Travail, deux cent millions d’individus sont asservis dans le monde. L’esclavage existe de façon insidieuse en Occident. Des familles riches, des ambassades de certains pays, recrutent des jeunes filles venant des pays sous-développés. Ces jeunes femmes n’ont signé aucun contrat. Elles sont parfois victimes d’abus sexuels. Plusieurs cas ont été dénoncés, et un Comité contre l’esclavage moderne, à Paris, appelle à l’aide pour porter secours à celles qui ont pu se libérer. D’autres commémorations pourraient être citées, la création de la Ligue des Droits de l’Homme, en 1898, pour défendre le Capitaine DREYFUS injustement condamné dans un climat destructeur d’antisémitisme qui renaît fréquemment. Ces évènements antérieurs au XXeme siècle attestent des étapes d’une prise de conscience et des luttes des hommes pour humaniser leurs sociétés. Elles soulignent aussi que les commémorations ont tendance à honorer quelques grands noms au détriment d’autres plus obscurs, et à ne pas présenter la totalité des contextes politiques et économiques dans lesquels ils ont agi. Elles montrent la lenteur de l’évolution, la continuité de la vigilance et la poursuite des actions. LA MÉMOIRE DU XXeme SIÈCLE : MAL ABSOLU ET PRISE DE CONSCIENCE PAR L’HUMANITÉÀ l’aube de ce XXIeme siècle, nous nous interrogeons et nous demandons quel regard les générations futures porteront sur le XXeme qui s’est achevé. La mémoire retiendra avec honte les millions de morts des deux guerres mondiales, plus encore la monstruosité des génocides et des crimes contre l’humanité . Jamais autant de vies humaines n’ont été supprimées en si peu de temps, avec autant de férocité, de fanatisme et des moyens industriels. Au moment de la libération des camps, les forces alliées découvraient l’ampleur des crimes nazis. Les survivants témoignaient d’une réalité inconcevable pour des esprits normaux. Les photographies prises par les libérateurs et les documents saisis confirmaient leurs récits. La conférence de Wannsee (20 janvier 1942) — qui n’a pas décidé « la solution finale » comme cela est dit à tort, — n’a pas créé une structure particulière destinée à planifier l’ assassinat de masse. La « solution finale » s’est glissée dans les interstices de l’administration ordinaire. Le génocide des Juifs ne fut pas l’oeuvre d’une équipe de tueurs et de psychopathes dévoyés ; il fut l’oeuvre d’une société moderne et bureaucratique qui mobilisa à cette fin, dans un secret très relatif, toute une population civile. « Le crime de masse est d’abord pensé par des bureaucrates consciencieux […] » comme le dit clairement Georges BENSOUSSAN dans son ouvrage Auschwitz en héritage. Mais si ce siècle restera marqué par un retour à la barbarie, la mémoire devra aussi évoquer les luttes des hommes qui s’y sont opposés au prix d’immenses souffrances et souvent de leur vie, et souligner une prise de conscience de toute l’ humanité face aux cimes atteignant l’essence même de l’être humain.Le 10 décembre 2008, nous fêterons le soixantenaire de la Déclaration Universelle des Droits de l’ Homme,occasion de renouveler la Vigilance face à ses principes fondamentaux : hélas ! le respect de tout être humain, le droit des peuples, la paix, sont encore bafoués en de nombreux lieux de la planète. Il y a maintes données majeures qui dominent l’Histoire de ce siècle, et en même temps des évolutions successives des mémoires nationales qui se corrigent avec le temps.Nous le constatons pour les étapes de la formation et de la déformation de la mémoire nationale en France, ainsi que pour les différentes présentations de la déportation. MYTHISATION ET DÉMYTHISATION DU PASSÉ : LE RÔLE DES HISTORIENS ET DES TÉMOINSAinsi, en France, la génération de Résistants qui a eu la charge de reconstruire la République et ses structures a eu besoin de valoriser au maximum l’image de la patrie résistante. Un mythe s’est édifié tirant un trait sur la collaboration de l’État Français. Pour le Général de Gaulle, la République n’avait pas été interrompue, elle continuait à Londres avec la France libre. Le parti communiste, pour sa part, exaltait le sacrifice de ses fusillés. Au sein de la mémoire nationale, celle de la persécution des Juifs et de leur génocide durant les années noires a été longuement en partie gommée. La France conservait un malaise par rapport à la collaboration et à ses fautes propres. Refoulement de mauvaise conscience, volonté de recouvrir le passé du « voile de l’oubli », comme l’avait proposé le Président Georges Pompidou, pour réconcilier la communauté nationale divisée. Comment juger l’obéissance aux ordres inhumains d’un État qui transgressait les principes fondamentaux de la République française et des Droits de l’ Homme ? On n’avait pas formulé un « devoir de désobéissance ».Le gouvernement provisoire avait besoin de hauts fonctionnaires. La condamnation des criminels nazis mobilisait l’énergie des vainqueurs et des survivants des camps.De plus, en découvrant les charniers de Bergen-Belsen et ceux d’autres camps, les libérateurs n’avaient pas encore fait la distinction entre camps de concentration et camps d’extermination.Tous les rescapés, victimes de la persécution raciste ou de la répression en tant qu’opposants au nazisme, gaullistes, communistes ou autres, portaient la même dénomination de « déportés ». En France, les Juifs voulaient se sentir de nouveau des citoyens comme les autres, alors qu’ils avaient été exclus de la communauté nationale par l’odieux statut que Pétain leur avait imposé. La communauté juive était décimée. Si les trois quart des Juifs ont échappé à la déportation, tous avaient été traqués, persécutés. Les survivants étaient rares.Ils furent quelques 2500 à rentrer de la déportation, de 2,5 à 3% de ceux qui avaient été arrêtés. (+ ou – 80 000) ! Mais, comment des cerveaux normaux pouvaient-ils imaginer de telles horreurs ? Le génocide des Juifs n’occupait pas encore une place importante dans l’histoire de la seconde guerre mondiale, et les archives françaises et allemandes n’ont été exhumées que peu à peu. Tel fut l’aboutissement du credo nazi : l’attentat contre la personne, l’esprit de domination, la domestication de la jeunesse, le mythe de la race, l’apothéose du mensonge, le culte sanglant des faux dieux ! C’est pourquoi, la plupart des Déportés rescapés ont tenté, et tentent toujours, de décrire la réalité des camps nazis comme leurs camarades disparus le leur avaient demandé. Étant donné qu’une partie des mémoires individuelles et collectives a été occultée, il faut susciter sa réapparition, en complément du travail des historiens qui eux précisent les données historiques réelles face aux mythisations du passé. LE RÔLE DE LA JUSTICE DANS LA FIXATION DE LA MÉMOIREMalgré ses imperfections, le premier procès de Nuremberg reste dans l’Histoire comme le procès de la barbarie, le symbole de la victoire de la justice sur l’ arbitraire et le premier maillon de la chaîne de la mémoire.Il représente également la reconnaissance universelle de l’Humanité contre laquelle on n’a plus le droit de commettre des crimes, et il représente le premier pas vers l’universalisation de la justice. Bien sûr, dans le monde , on continue à massacrer des civils, femmes et enfants, à les affamer, à les violer , à les forcer à l’exil ! Mais, grâce à cette leçon d’histoire et d’humanité donnée par le procés de Nuremberg, les criminels en puissance ne pourront plus jamais dire qu’ils ne savaient pas que leurs crimes n’étaient pas permis, qu’ils n’avaient pas conscience de leurs actes… À Nuremberg, un filet de lumière est venu clore les années de ténèbres. Les associations de Déportés et de familles de victimes ont toujours demandé le jugement des criminels nazis et des collaborateurs, non par désir de vengeance mais pour que justice soit rendue et pour préserver le retour du mal. Refusent-elles le pardon ? On pardonne à celui qui reconnaît ses fautes, qui veut se repentir, qui veut changer de comportement et se réhabiliter. Or, la plupart des coupables de crimes contre l’Humanité et acteurs de génocides d’hier et d’ aujourd’hui, tel Pinochet au Chili, les assassins nazis, les assassins et tortionnaires de l’ex Yougoslavie et du Rwanda, n’ont manifesté aucun regret. Il a fallu attendre une cinquantaine d’années pour reconnaître officiellement la responsabilité de l’État français dans la déportation des Juifs. C’est en 1993 qu’un décret instaure « une journée nationale commémorative des persécutions racistes et antisémites commises sous l’autorité de fait dite Gouvernement de l’ État français, 1940-1944 », tous les 16 juillet. Lors de la cérémonie de 1995, le Président de la République, évoquant la rafle du Vel d’Hiv, la détresse des personnes arrêtées, déclara :« La France, patrie des Lumières et des Droits de l’ Homme accomplissait l’irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés aux bourreaux… »Dans cette phrase, il fut regrettable — à mon avis — d’ accuser la France entière ; il eut fallu parler du Gouvernement de l’État français, celui des décrets du « statut des Juifs », car la France était alors aussi celle du peuple en lutte à Londres et celle des “ maquis “ réfractaires , qu’il cite justement d’ailleurs dans la suite de son discours. À la libération, d’importants collaborateurs avaient été jugés et condamnés, mais il faut l’admettre, de grands administrateurs de l’État ont été blanchis, rapidement. René BOUSQUET, qui avait été condamné à la dégradation nationale, en avait été aussitôt relevé pour « service à la Résistance ». En 1989, Serge Klarsfeld avait déposé plainte contre lui. En 1991, René BOUSQUET a été inculpé de « crimes contre l’Humanité ». L’instruction de son dossier est achevée quand il est assassiné. Jean LEGAY, ancien adjoint au secrétaire général de la Police de Vichy, avait été inculpé en 1979. L’affaire a traîné pendant 9 ans, et il est décédé sans avoir été jugé. Paul TOUVIER, chef régional de la Milice lyonnaise avait été condamné à mort par contumace en 1946 et 1947, puis gracié par Pompidou en 1971. Une bataille juridique s’est poursuivie jusqu’en 1979, aboutissant à un mandat d’arrêt. Finalement capturé, il bénéficie d’abord d’un non-lieu qui provoque scandale. La Cour d’Assise casse le non-lieu en mars 1994 et il est condamné à la prison à vie en avril 1994.Le procès PAPON aura attendu une condamnation depuis plus de cinquante ans, après quinze ans d’ instruction, six mois de procès… et les suites que l’on connaît. CONSÉQUENCES DES DÉMYTHISATIONS DU PASSÉ : LE RETOUR DU REFOULÉDans les années 1970, le mythe de la France massivement résistante a été ébranlé par des travaux d’historiens, comme l’ouvrage de l’Américain Robert PAXTON, La France de Vichy, (1973), et par des films.Celui de Max Ophuls, Le Chagrin et la pitié,en avait pris le contre-pied en montrant les habitants de Clermont-Ferrand veules, collaborant, et seulement quelques grands témoins Résistants. Ce film salutaire ignore les luttes cachées des inconnus de la Résistance ,offrant une base indispensable aux actions notoires.Avec Lacombe Lucien, film de Louis Malle,l’engagement dans la collaboration ou la Résistance apparaît comme dû à des circonstances aléatoires plutôt qu’à des convictions et à des options volontaires. L’Histoire se doit de rétablir toute la vérité, mais les médias en recherchant l’évènement, le sensationnel, déforment parfois la réalité qui se dessine. La fin d’un mythe engendre le scepticisme, la déception. Elle permet de libérer les forces antagonistes sur lesquelles régnait un tabou. Les nostalgiques de la collaboration et du nazisme relèvent alors la tête. Ils tentent de réhabiliter le régime de Pétain et même les idées nazis par plusieurs voies : la banalisation, le relativisme, la négation des crimes. Des écrits présentent les luttes opposant collaborateurs et résistants comme de simples tenants de courants politiques antagonistes, gommant l’oppression de l’occupant. Par la suite, des auteurs se feront connaître en semant le doute ou en attaquant directement des résistants comme Jean Moulin ou Les Aubrac. Madame Marie José Chombart de Lauwe a analysé dans les années 1970 le phénomène dit de« la marée brune ». Dans les kiosques de gares, s’étalaient des publications exaltant les « héros militaires » de la Wehrmacht, de la S.S. et de la L.V.F. [8]. Sous le couvert d’« aventures », les auteurs, d’anciens S.S. de la division française Charlemagne ou des doriotistes, diffusaient leurs idéologies. Pendant des années, un certain Jean Marie Le Pen éditait des disques faisant entendre des discours de Doriot, Hitler, Himmler, accompagnés de chants nazis, sous prétexte de collections historiques. Il fut d’ailleurs condamné en 1971. Prolongeant un processus de banalisation, qui affirmait « il y avait des salauds des deux côtés », on assistait là à des déformations systématiques de l’Histoire bien orchestrées par des courants de pensées politiques extrémistes. Déjà quelques individus, en France, en Allemagne, et en Autriche, en Grande Bretagne et aux Etats-Unis, ont « révisé » disent-ils l’Histoire. Ils s’attaquent à la spécificité du nazisme : le génocide des Juifs décrété et organisé industriellement par l’État Allemand du troisième Reich, et à son outil principal, les chambres à gaz. Le terme « réviser » signifie corriger une erreur. Le procès du Capitaine Dreyfus fut révisé pour établir la vérité et lui rendre justice. Il est nécessaire d’éclairer les zones d’ombre de l’Histoire. Par exemple, les chiffres avancés à la libération étaient des plus approximatifs ; ils se sont précisés en sachant qu’on obtiendra jamais une exactitude absolue. Certaines formules sont des expressions symboliques, comme le chiffre de 6 millions de morts à Auschwitz. Auschwitz est devenu aujourd’hui le symbole de la Déportation, de la Shoah qui englobe tous les différents lieux d’extermination, …….Sobibor, Treblinka, Chelmö, Maïdeneck, Belseck….. Auschwitz – Birkenau… environ 5 à 6 millions de Juifs assassinés dans les camps en Europe dont 1,2 millions à Auschwitz-Birkenau et 400 000 enfants, sans y compter les victimes Tziganes… Sans compter les morts de la Shoah « par balles [9] » !De toute façon, même si le chiffre devait être légèrement différent, voire un peu inférieur, l’essentiel pour la mémoire est de retenir le caractère monstrueux et exceptionnel d’un génocide perpétré par un État appliquant ses conceptions racistes dans un système d’extermination organisé industriellement. Les chiffres revus depuis cinquante ans ont été réajustés à un niveau plus élevé en ce qui concerne la déportation de répression ; 240 000 Résistants disent certains, furent déportés, dont seulement environ 96 000 personnes (soit 40 %) allaient retrouver le sol français ! La F.M.D. a effectué la liste mémoriale qui enregistre un peu plus de 73 000 noms des Déportés de répression partis de France, hormis ceux de la déportation juive déjà réalisée par Serge Klarsfeld. Les négationnistes ne cherchent pas à préciser et compléter ce qui est une vérité irrécusable, ils la nient avec des méthodes récusées par les historiens compétents, et tentent de renverser la charge de la preuve ! Les noms de Thies Christophersen qui publia Le Mensonge d’Auschwitz, en réalité un ancien SS, l’historien français François Duprat, l’Anglais Richard Harwood (alias R. Verral ) diffuse « Six millions de morts, le sont-ils vraîment ? » ou la traduction de l’Américain Arthur Butz « L’imposture du XXeme siècle »touchent les petits groupes néo-nazis, furent des écrits apparus à la fin des années 60-76. En 1978, L’Express créait un évènement en publiant une interview de Darquier de Pellepoix, ancien directeur du Commissariat aux questions juives de Vichy, réfugié en Espagne qui déclare : « « A Auschwitz on a gazé que des poux » ». Toute la presse de l’époque s’empare du scandale. Faurisson depuis 1974 avait écrit en vain à des universitaires pour les informer de la « Bonne nouvelle » : les chambres n ‘avaient jamais existé. Il publie dans La Défense de l’Occident qui lui ouvre ses colonnes. Les réponses ne tardent pas. Le 21 février 1979, 34 historiens font dans le journal Le Monde une mise au point essentielle sur « la politique hitlérienne d’ extermination ». Septassociations de Résistants, d’anciens Déportés et de militants antifascistes, assignent Robert Faurisson. On voit dans ce rappel le rôle clé des médias dans la formation et la déformation de la mémoire nationale et citoyenne, et celui de la justice, des courants politiques, des historiens, des témoins. Ils sèment le doute dans l’opinion sur la réalité des crimes nazis, comme une ultra-gauche libertaire nie également l’existence du génocide au moyen de chambres à gaz, afin de montrer que le nazisme n’a pas commis plus de crimes que d’autres régimes oppressifs. Un autre courant de pensée pratique le relativisme, déclarant qu’Hitler n’a fait que répondre au goulag stalinien. L’évocation du passé est toujours porteuse de sens, le résultat de choix éthiques, politiques. Alors, ne faut-il pas transmettre une mémoire utile à l’édification du futur ? Nous préférons garder confiance dans les canaux juridiques et démocratiques de nos institutions : « […] celui qui a le contrôle du passé a le contrôle du futur. Celui qui a le contrôle du présent a le contrôle du passé. » On peut imaginer tous les scénarios.Dans une entreprise totalitaire, non seulement la mémoire des individus serait effacée, mais les faits eux-mêmes ! Sous nos latitudes, il n’ y a aucun risque d’effacer la mémoire historique. QUELLE MÉMOIRE VOULONS-NOUS TRANSMETTRE ?Les haines nationales, religieuses, ethniques, idéologiques s’appuient souvent sur des mémoires partisanes, des mythes identitaires. Les mensonges finissent par être démasqués, les zones d’ombre éclairées. Le rôle des historiens consiste à rechercher toute la vérité, à empêcher la mémoire de dériver, mais ils sont soumis au contexte social qui oriente les recherches vers certains évènements plutôt que vers d’ autres. La France contemporaine traite encore difficilement de la guerre d’Algérie alors que les Américains évoquent plus aisément leur guerre du Vietnam. Dans bien des cas, la mémoire des témoins, individuellement ou collectivement, s’est exprimée avant qu’un État accepte de reconnaître des faits qui ne loi sont pas favorables. En sciences humaines, on admet qu’aucun phénomène de société ne peut être vraiment compris si on ne tient pas compte des personnes qui l’ont vécu. Les acteurs de la mémoire sont divers, témoins et spécialistes. Agissant dans le présent pour préparer l’avenir, ils réfléchissent sur les évènements que la mémoire civique devra commémorer, qu’ils soient dramatiques ou porteurs d’ évolution positive pour l’ Humanité. Leurs choix ressortit au domaine de l’éthique. En tant que chercheur en sciences humaines, et en tant que Résistante déportée, Mme Marie-José Chombart de Lauwe considère essentiel de transmettre une double mémoire :— celle des crimes contre l’ humanité d’une part,— celle des luttes des défenseurs des droits de l’ homme, d’autre part. Nous possédons de solides repères connaissant aujourd’hui les conséquences des conceptions qui rejetaient les principes des droits de l’homme. Mussolini en 1926, a proclamé : « Nous représentons l’antithèse des immortels principes de 1789. »Goebbels, dans son livre La Révolution des Allemands écrivait : « L’an 89 sera rayé de l’ Histoire. »L’idéologue nazi Rosenberg a prononcé un discours à Paris, en novembre 1940, à l’Assemblée Nationale, avec pour thème : « le règlement de compte avec les idées de 1789. » Les conceptions des hitlériens, leur volonté de hiérarchisation des prétendues races humaines, de la domination des peuples par la force, ont abouti à la guerre, aux massacres, à la ruine de l’Europe, au système concentrationnaire nazi. La mémoire du système concentrationnaire nazi ne doit jamais s’effacer, car elle témoigne de l’application la plus extrême d’une idéologie raciste par un régime d’État. Elle n’exclue pas celle d’ autres crimes comme ceux du goulag stalinien, du régime de Pol Pot, des dictateurs latino-américains, de tous les prétendus « purificateurs ethniques ». Chacun de ces drames a son caractère spécifique ; mais, surtout évitons les amalgames. La dimension commune est la souffrance des êtres humains, l’élimination de certains d’entre eux parce qu’ils sont classés « différents » par leur naissance ou leur façon de penser. Comme l’ affirmait René Cassin : « Il n’y aura pas de paix quand en quelque lieu du monde les droits de l’ homme seront violés. » LES MOYENS DE LA TRANSMISSION DE LA MÉMOIRE ou COMMENT TRANSMETTRE CES LEÇONS DU PASSÉ EN UNE MÉMOIRE VIVANTE ?Depuis plus de cinquante années de nombreux Déportés ont apporté leur témoignages dans les établissements scolaires, ou lors de colloques, ou d’expositions.Les associations de Déportés ont collecté le maximum de témoignages, publié des ouvrages, des documents audio-visuels où la diversité des expériences se complètent, donnent une connaissance de la totalité du système concentrationnaire. Elles organisent des visites, des pèlerinages, sur les sites des camps. Mais bientôt, notre génération va disparaître. C’est pourquoi la Fondation pour la Mémoire de la Déportation a été créée pour relayer les associations de Déportés quand elles seront dissoutes faute de membres. Elle les réunit déjà toutes. Faire connaître et tenter de mieux comprendre cette tranche du passé est une mission essentielle. C’est un acte de civisme de sensibiliser aux crimes contre l’humanité du passé et du présent. Les peuples du monde ont créé l’ O N U : ils ont voulu universaliser le principe des droits de l’homme, avec la Déclaration Universelle de Droits de l’ Homme de 1948, « le premier manifeste d’ ordre éthique que l’ Humanité ait jamais adopté » selon René Cassin. Ce principe n’est plus une utopie ; c’est un idéal qui ouvre un chemin. C’est notre combat pour la Paix. Tout au cours du siècle dernier, les forces de l’esprit se sont opposées aux forces générant la violence, la haine, l’exclusion, jusqu’au mal absolu du génocide. C’est cette double mémoire qui devra être ancrée dans la formation civique des générations qui vont construire le XXIeme siècle. La mémoire s’appuyera particulièrement sur les structures muséales et sur les membres du corps enseignant et les équipes éducatives des Établissements scolaires.* ESQUISSE D’UNE CONCLUSION :L’impuissance d’empêcher de s’accomplir des horreurs, d’accepter l’inadmissible, de « toujours laisser faire », reste une obscénité qui sévit encore à l’aube de ce XXIeme siècle. Nous refusons quant à nous que se reproduise la honte du XXeme siècle, celle qui a été et qui restera d’avoir permis de creuser un abîme de cruauté sans fond. Mais, serait-il légitime ou intelligent d’en rester au seul constat culpabilisant ? — Réveiller les mémoires individuelles ou collectives,— réactiver certains évènements,— avoir la volonté et la constance de faire revivre des instants tragiques, que ce soit autour de la Shoah ou ailleurs Parce qu’elle sélectionne certains faits, la mémoire est un enjeu politique. Sans tomber dans l’image du donneur de leçons, les faits parlent d’eux-mêmes. Ce qui s’impose à nous comme à tous, sans concession, souligne en tant que de besoin, la pertinence du travail de Mémoire et de Vigilance. « Même si la trace s’estompe avec le temps, et avec lui la disparition des témoins, l’inscription éternelle des évènements persiste ; elle est est là ; elle solidifie la mémoire de demain » déclarait si justement Mme Annette Wieviorka. Il s’agit donc, avec simplicité, avec humilité , non seulement d’accepter de se remettre en question dans une saine connaissance des évènements, mais aussi de vouloir surmonter la difficulté que pose l’ indispensable nécessaire pour perpétuer un travail infini de mémoire qui a tendance naturelle à s’essouffler. Cette capacité d’effort de réflexion est en chaque interlocuteur. Chacun peut s’interroger sur les systèmes qui furent à l’origine de beaucoup de malheurs. Tout consiste à « refuser d’ ignorer », à « ne jamais tout accepter ». Pas plus qu’il n’y a de fatalité de l’ histoire, il n’ y a d’incapacité chronique à prendre en compte les faits, à faire des rapprochements, à vouloir examiner leurs rapports avec l’Histoire. Cetravail particulier, spécifique sur la mémoire, a le mérite d’ éveiller les consciences engourdies : « Transmettre pour innover » a écrit Régis DEBRAY, relais précis du message de nos Aînés et accomplissement de la promesse des rescapés faite aux victimes de la déportation. Nous avons chacun en nous, j’en suis persuadé, la potentialité, la possibilité de proposer quelques réponses aux problèmes sociétaux, à ceux du monde et, nous disposons d’une modeste capacité d’apaiser quelques difficultés sur notre planète. Nous n’avons pas à rougir des valeurs acquises universelles que nos aînés ont fait rayonner, ni de ce que les civilisations ont commencé à accomplir plus ou moins maladroitement d’ailleurs, mais avec une certaine marge de bonheur pour le plus grand nombre. Les pères de nos Républiques avaient considéré qu’il fallait éduquer les citoyens, les faire émerger du pur instinct de leurs intérêts particuliers, pour qu’ils se sentent solidaires, qu’ils appartiennent à une nation historique et politique. Nos Anciens voulaient qu’ils soient « les ouvriers de la démocratie impossible » comme les nomme Michel WINOCK. Avec les enseignants, avec les intellectuels, les hommes et femmes de bonne volonté, nous pouvons encore et toujours témoigner, éduquer, interpeller, ainsi faire mieux prendre conscience des hautes valeurs qui fondent nos Institutions, bref montrer à tous que « liberté, égalité, fraternité » ce n’est pas du vent ! On en est loin, on reste encore loin de « la démocratie impossible »,celle dont on a fait le rêve ; mais, le rêve, en quoi empêche-t-il de vouloir élever l’exigence citoyenne ? Notre responsabilité humaine est dans tous les choix de vie, au sein de la société, dans la vie de nos familles, de nos quartiers, à chaque moment. La finalité n’est-elle pas de rendre les humains plus libres et plus heureux, d’émanciper les individus de l’ignorance, de la superstition et de l’obscurantisme, mais aussi de la tyrannie de la nature et de celle des hommes ? Il ne faut donc pas oublier que le contrôle sur l’Histoire : c’est la promesse de la démocratie, c’est notre possibilité commune de prendre part sans vanité à l’ élaboration d’un destin commun. Rappelons-nous le texte d’Albert Camus , la fin de ce roman, La Peste… dont je ne résiste pas à vous citer l’extrait : […] Le docteur Rieux décide alors de rédiger le récit qui s’achève ici, pour ne pas être de ceux qui se taisent, pour témoigner en faveur de ces proliférés, pour laisser du moins un souvenir de l’injustice et de la violence qui leur avait été faites, et pour dire simplement ce qu’on apprend au milieu des fléaux, qu’il y a dans les hommes plus de choses à admirer que de choses à mépriser.[…] Écoutant les cris d’ allégresse qui montaient de la ville, Rieux se souvenait que cette allégresse était toujours menacée. Car il savait que cette foule en joie ignorait, et qu’on peut lire dans les livres , que le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais, qu’il peut rester pendant des dizaines d’années endormi dans les meubles et le linge, qu’il attend patiemment dans les chambres, les caves, les malles, les mouchoirs et les paperasses, et que, peut-être, le jour viendrait où, pour le malheur et l’enseignement des hommes, la peste réveillerait ses rats et les enverrait mourir dans une cité heureuse [10]. Que l’on n’oublie jamais ce que sont les répétitions de l’Histoire. Car, le danger est là, en effet toujours présent autour de nous. Il guette ; « le ventre fécond de la bête immonde n’est pas stérile. » Paul ROOS [conférence rédigée en août 2007 à Lille, prononcée à la Fondation de Lille, le mardi 5 février 2008.] [1] .— « Les Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation », l’antenne du Nord. [2] .— « Fédération Nationale des Internés Résistants et Patriotes ». [3] .— « Fondation pour la Mémoire de la Déportation ». [4] .— « Fondation pour la Mémoire de la Shoah ». [5] .— Comité d’Administration. [6] .— « Lager » est le mot allemand pour désigner les « camps ». [7] .— Jean-Yves & Marc Tadié, Le Sens de la mémoire. [8] .— « Ligue des Volontaires Français » : la plupart sont partis se battre et mourir pour beaucoup sur le front de l’Est. Il y avait des bureaux de recrutement de la L.V.F. dans toutes les villes de Français, qui portaient souvent des affiches sur leur devanture : « Interdit aux Juifs de stationner devant cette vitrine […] », et le portrait du « Maréchal ». [Note de la rédaction.] [9] .— Voir, à cet égard, les extraordinaires travaux en cours du Père Desbois, qui est en train de tenter de recenser un à un les charniers que les armées nazies avec la complicité des populations de l’époque ont caché à l’Est au fur et à mesure de la progression de leurs troupes d’occupation, les victimes des tristement célèbres « Einzatzgrüppen ». [Note de la rédaction.] [10] .— Albert Camus, La Peste, 1947. La fin du texte. À la Saint Charlemagne (nos coups de cœur)