La Cigale et la fourmi Jean-Louis Cloët, 11 mars 20082 août 2023 En 1967, Jean Anouilh, tenant compte de la modernité et de l’influence du capitalisme néo-libéral avancé, reprenant la célèbre fable de notre bon La Fontaine — coulant de source — faisait de la Cigale une chanteuse, une danseuse, une entraîneuse ou une strip-teaseuse, hantant les « casinos » et les « boîtes ». En 2002, l’époque n’a guère gagné en finesse : les réalités économiques se sont faites plus radicales, la lutte pour la survie, plus âpre. Cette version est sans doute assez dans l’esprit de l’auteur des Contes, qui dut au reste les renier pour entrer à l’Académie.) La fourmi ayant épargnéTout l’hiverTrouva ses comptes fort cossusLorsque l’été fut revenu.Nonobstant,À force de n’écouter que le SerpentMonétaire au sein des paradis fiscaux,Elle s’emmerdait tout de go.Devant son écran « perso »De sa start-up, dans son bureauAu cinquantième étage-bisDes micros Twin Towers de Paris-la-Défense,Voulant se faire des vacancesTout soudain, subito presto,Tout en surfant sur internetEn remixant de vieux fichiers,Elle tapa sans y penser— Croyant bien faire — :Www cigale hard hot line.love.fr ;C’est ce qu’on appelle : « un acte manqué ». En dessous affriolants,Son ex-copine de collège,La Cigale, qui, un an plus tôt,Avait prétendu la taxerDe quelques cent vingt mille euros,…Par le biais de sa web-camLibertinement disposéeApparut alors sur l’écranEn CinémaScope, en 3 D. La Fourmi, coincée, et d’un air pincéVoulant se donner contenance,Avec sa mine de papier faxé faisant bourrageDit simplement : « Salut, Cigale ! »L’autre répondit : « Salut Gale !Si c’est pour me faire tourner un autre clip pour Badoît,Ma bonne, ou bien pour Salvetat,Au prix du cachet accordéQui mérite l’aspro gratuitPour la conne qui veut signer,Tu peux aller te brosser !…Je vends plus mon cul au prix du poulet.— Ce n’est pas l’objet, chère amie,Connaissant vos récents ennuis…De l’an dernier,Je voulais simplement m’enquérir de votre santé… »Rétorqua la Fourmi, foutrement, fichtrement scotchée.— « De ma santé ? Je suis fort aise,Ça va, ça va…J’ai investiComme tu voisDans le silicone expansé… » dit la Cigale,En refermant un peu son peignoir blanc-danoneEn spontex bio-loréalisé(Parce qu’elle le valait bien !)— Merde ! Crotte, enfin !… —« Et toi, ma belle,Comment vont tes comptes en Suisse ?Et tes actions Électrabel : pas encore ménopauséesPar le fisc belge et l’indexation du Nikey ?Et tes actions Euro-Tunnel : sont-ellesEn hausse, malgré tous ces réfugiésQui viennent se faire écraserEn s’accrochant sous les bogies,Les carters, les amortisseurs,De nos T.G.V. Euro-Star,S’y glissant de nuit, sans un bruit,Malgré les barbelés et les miradors de Coquelle ?La bidoche d’immigré qui pollue sur des kilomètres,Ce n’est pas bien propre quand même :La Bourse ne doit pas aimer…— Mais… et vous… vos comptes en cuisses ? »Lance la Fourmi, subreptice,Bien certaine de galéjer.— « Ça va, ça va… » fait la Cigale« Des crises de trésorerieJ’ai appris à me préserver,Les traitant par dessus la jambeAvec des jeunes ou des vieux,Que je fais danser sur un piedD’abord, et puis chanter ensuite.Ma mère me l’a toujours dit :« Ne t’assieds jamais sur ton patrimoine,Ma fille ! car c’est de l’or qui dort ;Il faut apprendre à se placer,C’est ce qu’a dit Monsieur Pinay.Quand on est jolie fille,En tirant sur la bobinette,Il suffit souvent de se faire mettre…Un polichinell’ dans l’tiroirPar un benêt super friqué qui vous épouse,Et, divorcer,Non sans savoir… non sans avoir…Citoyenne, attendu de voir— Miracle de la République ! —Civiquement, neuf mois plus tard,La chevillette des Allocations FamilialesChoir. »Mais pour qui ne voudrait pas gonfler,Garder la ligne,Sa sveltesse fuca au bifidus-actif liposucé,Il suffit de sauter plutôtSur un vieux cheval de retour,Sur un vieux nabab avachiVous couchant sur son testamentSi vous couchez dans son lit,Qu’on fait claquer d’un infarctus,Chapeau pointu,Oh !… Huit jours plus tard, tout au plus !Turlututu !Digue ! Digue dondaine au gué !(…Bien fait !)Des jeunes ou des vieux,En jouant les corbeauxQuand il fautAvec les plus renards d’entre eux,Je sais toujours avoir raison,Faire mon beurre et mon fromage,Où que je sois,Quand je le veux.Pas besoin d’autre tirelireEt de s’épargner du plaisir.Des PEPs, des PELs et des SICAVs,Je me tamponn’ le coquillard !Quant à l’indice du CAC-Quarante,Je me le mets là :Là,où se penseToute ma personnalité…Là dessus, Fourmi. Bye, ma poule !… Ciao !…C’est pas tout ça.Si tu rêves,… moi, j’ai du boulot. »Elle lui spotte le site au blaire.— Oh !!!… À ces mots,La Fourmi, quittant son bureau, hystérique,Névrotiquement pulsionnée,Descendit les cinquante étagesSur la rampe de l’escalier,Sans s’arrêter.Dans la rue bondée,Rejoignant la file des postulantes,Pustulant pour le castingde Star Académy 19 et deLoft Story 28 :Tintin !Elle se fit jeter. Après dépression foudroyante,Cent vingt séances d’analyseChez un Psy néo-lacaniennon remboursées par la Sécu,La Fourmi,À trent’-cinq balais mal poussésEt des poussières par devant,Décida d’investirDans le silicone ;Mais en vain. Moralité : — Rien ne sert de pâtir,Il faut courir à point. [© Cloët, 2/III/2002] Brocante (archives & rires)