La Méchanceté Jean-Louis Cloët, 10 mai 20093 août 2023 La méchanceté n’est pas une invitée. Elle s’invite. Elle tape l’incruste. Elle vit et mange à nos dépens. Elle squatte, en « pro » de la chose, effrontée et cynique, fait table rase, puis table ouverte assez vite… fait de notre vie un moulin : un moulin qui tourne à vide ! Avide, insatiable,elle chausse nos bottes,couche avec notre femme,s’amuse avec nos enfants. Elle s’amuse de tout d’ailleurs, de tout ce qui nous concerne. Elle s’amuse à nous jouer, à nous doubler de vitesse.Elle casse notre vaisselle, salit nos draps, raye nos meubles les plus chers, jette nos bibelots anciens où les mains chères se sont posées, égare souvenirs et photos, lit nos lettres… perturbe le cours du temps et des choses pour tenter de nous persuader que ce qui a été n’a jamais été, qu’il n’y a jamais eu que le chaos, que le vide qu’elle fait donc a toujours été, qu’il est « de nature », puisqu’il est de nature de fait que la méchanceté opère ainsi — ici et partout, « urbi et orbi » — pour étendre son royaume. Tout ce qui est fait, elle le défait.Tout ce qui est bâti, elle le détruit comme elle peut.Elle nous brouille avec nos amis : quiproquos et équivoques, confusions et imbroglios sont ses moyens favoris pour nous travestir à leurs yeux, pour nous éloigner d’eux, nous perdre… De victime qu’elle fait de nous, insidieuse, elle nous transforme bientôt en bourreau en un tour de main, aux yeux du monde, aux yeux des autres, pour se rire de nous. Elle nous lie par des fils de soie, par les fils d’acier du mensonge, de la calomnie ; elle nous pousse à nous justifier sur des actions qu’on a jamais commises, fait passer tout mensonge pour la vérité et la vérité pour mensonge. Nous mettant nu, les nerfs à vif, elle nous pousse à nous exhiber, alors même qu’on n’aimait jamais que solitude et silence. Elle nous pousse à crier quand on voulait se taire, nous oblige à nous taire quand on voudrait parler. Elle peut réduire en poudre mille ans d’efforts thésaurisés, de dévouements cachés, fidèles, et les disperser d’un seul coup de vent, d’un seul courant d’air, en brisant portes et fenêtres pour nous accuser d’être violent. Elle est la mauvaise foi faite statue, faite idole : statue qui marche, destinée à nous écraser… et, cependant, ce colosse n’est pas d’airain, ni de marbre, ni même de pierre, mais de boue lissée, d’opprobre mêlée de crachats, d’excréments. — Moins solide que le pisé, colosse de torchis vite, par trop vite torché, bâclé, la méchanceté n’est qu’un colosse de pisse et de terre, colosse qui se réduit en poussière et se résout en poussière, par le seul fait qu’on l’ignore. [10 / V / 09] Voix (poèmes)