Soutine soûl Jean-Louis Cloët, 14 novembre 20071 novembre 2023 Extrait des « Enfants de Bohème » — un ensemble de recueils consacrés aux peintres de L’École de Paris, — « Soutine soûl » est daté de 1985. D’autres peintres sont mis à l’honneur dans cet ensemble : Modigliani, Pascin, Foujita… 36 tableaux, 36 poèmes, à chaque fois. [Corrélats : Modi le Maudit ; Jean-Marie Drot le Magnifique.] * — « Une pression hypocrite et continue condamne l’individu à une existence timide, incomplète et rebelle, à la terrible et stérile insatisfaction vague qui pourrit les désirs et les songes… » ROGER CAILLOIS. * [1] — Sournoise la folle ? Allons donc ! Filament après filament, elle se consume au dedans comme du coton hydrophile. Elle se racornit doucement, mais, inexorablement : il n’en restera bientôt plus qu’une petite masse rougeoyante qui s’éteindra d’un coup, un petit tas de cendre qu’un courant, vite, d’air, vif, dispersera. Voyez donc ces mains sans peau, tordues, gagnées par l’incendie. Terrorisée, ailleurs déjà, elle sourie, déjà sauvée. Ses cheveux sont étoupe ; au creux des orbites, ses yeux, boulets, charbon, roulent. Bouche-braise : il est certain, que l’éteignoir de son bonnet ne suffira pas à l’éteindre. * [2] Deux poux noirs par les champs, deux cafards rentrent de l’école en courant. Est-ce l’orage, qui les fit sortir de leur trou ? Dans la terre molle du chemin, noirs, deux tâcherons du devoir civique, piétaille, piétinent, main dans la main, si petits ! L’un des deux vaticine : le ciel en colère, un armée d’arbres les poursuit ; lui a peur, mais elle aussi ; tandis que tombe le soir. * [3] L’arbre couché : — quel coup de balais dans les maisons ! c’est un balais de sorcière : une est assise dessus. L’air lacéré siffle autour d’elle, fouette la chair bleue du ciel. Comme un sillage, un ruban, la route tournoie. * [4] Les arbres, ce doit être les anges félons précipités par Javeh du haut du ciel aux enfers, précipités du haut des cieux sur la terre. Il n’en dépasse que les pieds, les jambes. Javeh les a renversés. Alors, leurs jambes ont poussé, poussé comme de noirs Çivas maudissant Dieu et les hommes de leurs deux dizaines de bras. De rage, écumant de flammes vertes, ce sont des araignées, des poulpes au bec bien caché. * [5] Le vent ronfle comme un tonnerre, arbres écumants. C’est la houle. Le vent roule un bruit de mer. La trouée au bout de la route, là, c’est le sexe du ciel : demain par lui verra le jour. Il naîtra par ce sexe ouvert, où s’engouffrent dans un vertige les passants. Ce qu’il naîtra ? Qui le sait, ce qu’il sortira de là-bas ? Le ciel travaille… : il pousse… Le ciel halète. — En mourra-t-il ? * [6] — C’est grave, Docteur ? — Oui. La laideur est incurable… Allez ! Ne rougispas. Viens. Tu es faite comme les autres, va, mis à part tes mains : leur rougeur de laveuse, oui, de cireuse de carrelage, et parquets. Viens donc ! Allez viens ! …Mais dis, qu’est-ce que tu t’es fait pour qu’ainsi dressent tes tétons : piqûre, ou qu’est-ce ? C’est pas normal… C’est rien ! Allez, baisse les bras ! Qu’on le voie, ce sexe ! T’as l’air de quoi, là, tes mains devant ?!… Viens, je te dis ! Ou, si tu ne veux plus… rhabille toi, et fous le camp ! * [7] Les porcs au moins ne sont pas seuls. Vautrés comme pas deux, ils sont parfois deux dans leur bauge. Ils sont heureux. Ça va tellement mieux un groin de porc, pour goûter les odeurs de la terre. Quand on n’a pas peur de la boue, de l’ordure, tout devient si facile… Oui, la vie d’un porc vaut bien une vie d’homme, pourvu qu’on soit deux. Leur boue, la nôtre : c’est tout comme. Les porcs mentent moins que nous. * [8] — Dis, bouge un peu ! dis, t’es morte ?… Réponds, quand je te parle !… Eh ! Oh ! Réveille-toi ! Ne me laisse pas seul. …Elle dort… Elle dort ! dort la gueule ouverte, les yeux presque ouverts, comme une morte. Merde. Et, c’est tout comme si elle baignait dans son sang dans cette chemise de nuit-sang. Je n’aime pas quand tu dors, quand tu me laisses seul, avec ce poing fermé qui me repousse, tes cheveux qui vivent sans toi et si tordus qu’ils prennent racine dans le terreau de l’oreiller. Dis, bouge un peu ! * [9] Qui donc aurait cru que la viande fut un vitrail, écorchée, crue, que tout corps est éclairé par l’aveuglant regard de La Mort, qu’elle y voit clair, nous dévisage au travers de toute charogne comme d’au-delà d’un miroir : de là, nous faisant signe, oui, de la suivre ? * [10] — Tête de con ! Tête de con ! Une bonne tête quand même ! En voilà un qui sait boire au moins, pour de vrai, pour de bon ! La caboche cabossée, mais toujours debout, la caboche amochée, bosselée par les ribouldingues dans les bistrots : c’est trop ! En voilà un qui sait rire au moins !… Allez, viens L’Ancien, c’est ma tournée ! On va écumer chez les Montparnos, au Parnasse, au « Dôme » ; viens, ça va fermer, viens L’Apache ; et, gare à ton scalp ! * [11] Les beaux quartiers, c’est sur l’autre trottoir. Les beaux quartiers, c’est de l’autre côté de la rue, là, derrière des piquets et du grillage : l’autre monde, celui de La Paix et du Calme, celui des jardins et des arbres. Il suffirait, — oh ! c’est simple ! — de traverser la chaussée pour toucher le grillage ; et puis après ?… …C’est beau une fenêtre dans les feuillages frais, une façade ensoleillée. Trouée de ciel vide, blanc, dans le feuillage du grand arbre, un fantôme-femme sourie. * [12] — Ce paquet de chiffon, c’est quoi, ces yeux en boutons de bottines, ces chaussettes qui tombent ?… C’est beau l’enfance ! : un petit tas de loques rouges, comme si ça venait de naître, beurré de sang frais, encore gluant. Elle aussi, elle a son bébé : du chiffon, pareil, moins bécasse peut-être, oui, l’air plus intelligent : un bébé noir à gueule blanche. Qu’est-ce donc qu’elle veut ? Qu’attend-elle donc ?… Allez. Raus !… Rien à voir !! * [13] — Ça se croit belle, voyez ça, pendue comme à cochon-pendu à la barrière, mais à l’endroit : sans blague, il ne faudrait pas salir sa robe blanche, n’est-ce pas ! Maman ne serait pas contente. Ah ! elle a choisi son endroit pour faire sa mijaurée : dans le pré, c’est charmant oui, avec les vaches ; c’est champêtre à cet âge-là… Fichue empêtrée oui ! — « C’est à moi, a-t-elle l’air de dire, c’est à moi tout ça. Tout, oui tout !… » Ça croit posséder la terre : tiens, papa a des sous… J’t’en fous ! * [14] — « Quelle gueule ça a la misère ?… » se demandent les bourgeois quelquefois avec un grattement délicat dans l’arrière-fond (dans le cul, quoi !) — « Quelle gueule ça a !… » et ils s’imaginent Dieu sait quoi !… La misère, c’est simplement trois maquereaux ou trois harengs dans une assiette, sans plus,… trois maquereaux, trois harengs à un sou pièce… juste assez frais, mais qui puent ce qu’il faut de juste, et vous regardent… froids. Simplement trois maquereaux ou trois harengs ; rien que trois… plus un, pour le luxe ; un crottin de tomates mûres bordant l’assiette sur la blancheur fiévreuse d’un torchon à la propreté douteuse… et… surtout,… la fourchette pour les crucifier. * [15] — Chômeur, Monsieur ! Ce n’est pas de sa faute. Courageux, oui ! (Il cherche de l’ouvrage). Femme de ménage, sa mère. Le père, mort, (de boire). Et, tout ça encore à nourrir !… Lui, c’est l’aîné. Du mérite, Monsieur ! N’est-ce pas malheureux ?… Ce n’est pas un fainéant, vous savez : dame ! son pauvre père parti. Quelle vie, n’est-c’ pas, Monsieur… Ah ! on n’est pas grand-chose sur cette terre. * [16] La pouftingue en chandail de peau de grosse, avec sa gueule qui ferait fuir un régiment de Huns en rut : pour le peu qu’elle s’appelle Geneviève, quel symbole, oui ! Elle eut sauvé Paris, tout aussi bien. Se beurre-t-elle la chevelure aussi, pour mieux tromper l’ennemi ? Toute sa graisse doit suinter par la tête plutôt pour qu’ainsi s’annonce cette calvitie qui lui dénude le front et les oreilles. Ça la rend plus nue. Est-ce l’impudicité, la congestion, qui fait la merveille de ce teint vermeil ?… Elle rentre, coquette, les joues, à défaut de rentrer le ventre. Elle a des seins comme des sacs sous un menton de mangeuse de soupe et de harengs. Chaste, elle jette un regard de vache inquiète. * [17] Les tomates sont des yeux rouges. La raie est un voile visqueux, rose et blanc, gluant, translucide. Je suppose la chose clouée — chose probable — au mur. C’est plutôt décoratif par son côté décortiqué, mais on tique : la pose est indécente vraiment. Passe encore pour la béance de la bouche… mais ces allures de satyre ouvrant tout grand son manteau — Oh ! Ah ! — sur ses tripes à l’air qui pendouillent, qui bourgeonnent… ce torchon qui semble un drap de bordel : c’est trop, quoi ! * [18] C’est dur d’être pâtissier, quand on rêve d’être boucher. Le crâne en crochet, la maigreur d’un cintre et l’air carnassier qu’accentuent deux yeux chassieux, un nez en arête, hachoir émoussé un vrai profil de couteau-scie, des oreilles raides de hyène : blanc, silicosé par la farine, on voit bien qu’il manque de sang. Pâtissier, ce n’est pas un métier, mais boucher !… Fi du pétrin, foin de la pâte, Ah ! billot, hachoir, maillet, couperet, scies, couteaux, feuille à fendre, crochets, crocs, scie, hache !… Les saigneurs sont des seigneurs. Pâle, il serre, rêveur, un chiffon-sang dans l’étau de ses battoirs chevillés. Bien toqué, à sa toque, les pommes d’un dossier font des grelots. * [19] On ne devrait jamais manger de poule noire, jamais. Maudit schoheth ! Maudit schoheth qui l’écorcha casher, tu as oublié ton couteau ! Mais qu’on la décroche !… Qu’on la décroche, ardée déjà comme elle est de poison, de pourriture ! Qu’on l’enterre !… Qu’on l’enterre ou la cloue sur une porte, hors de la ville, pour chasser Le Golem et le mauvais sort. Maudit schoheth, maudit schoheth qui l’écorcha, tu as oublié ton billot et la louche pour le sang. Ni ton couteau ni tes mains ne tueraient ses ailes, jamais. Personne ne sait tuer les ailes. On ne devrait jamais tuer de poule noire !… Oh ! mortes, elles ressemblent trop à des corbeaux ! * [20] Haut monstre aux deux sœurs siamoises, les deux sœurs, les deux tours hurlent : démesurément pétrifiées. Gauche, la tour a un visage halluciné ; sa bouche, les yeux sourds de nuit, sa bouche immense est un vitrail crevant sa face ; par les yeux agrandis d’effroi sortent, rentrent, des corbeaux. C’est la tour reine, couronnée, et la peau de pierre hérissée. Coiffée d’un bonnet de fou, sa soeur naine lui sert de fou. — Que dit le fou ? Que dit la tour naine à sa reine ?… Au fond des âges, que voient-elles ?… Dans le ciel, qui semble glisser, ce Sphinx étrange a reculé ; mais, ni hommes, ni maisons, n’ont vu ces visages. * [21] La raie pleure sur les oignons, ou, rie-t-elle, la raie dans l’air, accrochée à deux fils de fer tire-bouchons ? Muscle mort, mol : c’est un accroc dans la bouffissure tuméfiée du mur qui se gangrène, noire, déjà vert-de-grisée de pus. Fiévreux accroc de pulpe flasque, recuite et dépigmentée, comme ébouillantée, blanche, elle vit, soleil gluant, pue, pend sur un horizon de charpie. Queue d’homme ; la raie crie ; tout son fiel s’éjacule ; elle sue, nue, et ses branchies sont des yeux vides. * [22] Mais d’où sort-elle celle-là ? Homme ou femme ?… — Femme, il paraît. — Avec ce col d’abbé, j’aurais dit plutôt apprenti-curé : sa robe est une vraie soutane. À ses mains, il ne manquerait qu’un chapelet pour qu’on la dise nonne : elle est rasée comme un homme. Son âge même est un mystère, un autre ; car, d’où lui viennent ces yeux vides de folle et ce sourire de Bouddha ? Autour d’elle, des fleurs tournoient. Son chapeau lui sert d’auréole. * [23] Larbin ou boxeur, il faudrait choisir. Attention, Mesdames ! Le jeu de jambes n’est qu’un avant-coureur du reste : on se venge comme on peut de sa pauvreté. Voici un cavalier d’un genre bien particulier : attendez-vous au far-west, au rodéo. Les oreilles trop décollées, le nœud-papillon trop mal refait pour être honnête… : attachez-vous plutôt à ce chicot de haine et d’humiliation mal remâché dans la joue droite, à cette moitié de visage de laquais chinois, à cet œil bridé… à l’autre, insolent… à cette bosse dans le pantalon, à l’entrejambes. * [24] À quoi sert d’avoir les bras longs, quand c’est pour porter des valises ? On a beau avoir un grand front, on n’en est pas moins con parfois. On a beau avoir un plastron, on n’est pas pour autant patron. L’air jockey — casaque rouge, toque rousse —, pourquoi, allons bon, pourquoi faire ? Pour monter les escaliers ?… Un valet est un valet ; le nœud-papillon n’y fait rien, ni le ventre sénatorial, non. Crétin en chef de l’étage, terreur du groom, du liftier, en bon racketteur de pourboire, à force de loucher sur les rondeurs des clientes et des poches revolver, ça lui est resté. Ne reculez pas par crainte : le crachat qu’il a dans la bouche, il le garde pour lustrer, faire reluire, les chaussures. * [25] Drôle d’oiseau, ce biquet ! Il a l’air gentil, un peu fille. Un petit air de tripoté. On peut tout lui demander, presque n’importe quoi pourvu qu’on paie, pour sûr, avec ce petit air de « tu-regardes-mais-on-ne-touche-pas »… tu parles ! Eh ! larbin de richards, c’est bien un métier d’homosexuel, non ?! N’est-ce pas tout beau, tout propre, à sa place : ce chef barbotant sur un col serré un peu jaune, ce regard probe de tiroir-caisse ? — La bouche, obscène, a un vague air de resucée… * [26] La soupière est vide. Vides, les cuillères. Vide, l’assiette creuse. Vides, les verres. La bouteille est pleine de vin. Avec quoi va-t-on remplir tout cela ? — Si le litre est plein, avec du vin. Le vin remplit les ventres vides ; le vin nourrit. C’est une nourriture de pauvre ; or, le pauvre a faim ; donc, il boit. Et, plus il boit, plus il a froid ; et, plus il a froid, plus il boit. — Pourquoi froid ? — Parce que la soupière, l’assiette creuse, restent vides. Parce que le vin creuse sa tête aussi, comme son estomac. Au menu du jour : soupe de vin rouge arrosée de vin ; et, du vin pour faire chabrot. — Deux couverts ? — Pour inviter la mort, à table. *[27] On a beau être nabot et groom, on n’en est pas moins homme ! Zieuter les plus belles femmes, putes et poupées de banquiers d’Europe et des États-Unis, tous ces mignons petits culs dans la dentelle, la soie, qui, dans les bras des gros nababs, se fichent de moi ; se dire, que mon salaire de toute une vie ne suffirait pas à payer la nuit, c’est pas une vie, non ! Dans mon falzar rouge, voyez dans quel état elles m’ont mis. * [28] Le Père Noël a un manteau d’astrakan sur sa robe rouge, une bouche en crête de poule, et, un joli décolleté de peau blanche en lieu de barbe — ce qui est, et de loin, de beaucoup plus seyant —. Fi du bonnet aussi, une longue mèche de corbeau à reflets bleus s’harmonise parfaitement avec ceux du manteau à poils bouclés… Les cheveux lisses, bleus, gominés, les poils bouclés bleus et luisants : alors, père Noël ou Vénus à la fourrure ? Troublant, vraiment. Qui donne sa langue au chat ?… Ne cherchez pas la hotte : il est assis dessus ; elle, plutôt — visez donc les jolies quilles ! —. — Triste ?… — Non. Mère Noël est bonne fille. * [29] À quoi peut-il penser avec des oreilles si rouges, des yeux si torves, tout en suçant l’intérieur de ses joues flasques ? Si raide et si droit, il a des allures de cierge pascal qui aurait coulé… de cierge, cependant bien moulé par La Société, comme atteint de vice de forme. Les mains aussi dégoulinent… La tête enflammée : qui va se décider à la moucher, la calotte ?… Un cierge, une tige de fer lui sert d’assise, mais lui, qu’est-ce donc qui le tient debout ? * [30] Chaos de maisons, chaos des toits. Les arbres partent tous à l’assaut du monde, au bord d’un ciel noir qui porte les couleurs de la fin du monde. L’univers glisse tout entier, décor sans plus. L’horizon se renverse. Rien pour le rétablir. Rien pour se raccrocher : tout tombe, roule comme d’un tombereau qu’on vide, comme un cercueil dans la tombe… Rien n’existera plus, demain. * [31] La Maison du pendu : ce pouvait être là, aussi. C’est plutôt La Maison du crime… Une silhouette tordue, géante, juste au nœud des chemins, ivre, vacille ; tout près, dans l’herbe, une autre paraît allongée, immobile… — Érignes, deux troncs, deux arbres, tiennent la chair creuse de la pierre écartée sur les fenêtres. * [32] L’arc-en-ciel chavire : c’est une arche. L’arc-en-ciel tombe : c’est la foudre. Rouge, la terre : le ciel s’ouvre. Le sang des couleurs coule, fou. La forêt chiffonnée : c’est la mer démontée, qui s’éclate sur les rochers ; la ville est quai. Et la terre s’ouvre sous Le Ciel qui s’OUVRE !… * [33] De qui est-elle veuve ? — De L’Amour ? — C’est possible. Dans les cheveux, le serre-tête est comme un diadème noir… Tout est noir : les cheveux, la robe, les sourcils, les yeux, l’âme aussi sans doute ; seul le visage dans cette nuit paraît un phare, mais, la bouche : fanal, de quoi nous prévient-il ?… Les coups de tabac, elle en sort. D’ailleurs, recoiffez-la ; retirez-lui l’ecchymose écarlate des lèvres, au nez ce bulbe : et, la voici jolie… Quelque marlou l’aura battue, cette morue. * [34] Les murs n’ont plus de peau ; les arbres sont squelettes… Je ne sais pas pourquoi, cela me fait penser au Harrar, à Rimbaud : ce côté ladre, ce côté désolé, désert, tourmenté, de ce pays ; sans une âme qui vive, il semble… Tout a brûlé, tout est blanchi, carbonisé, minéral, basaltique : tout, jusqu’aux champs, jusqu’aux toits fanés, plissés par l’usure comme s’ils fondaient… Pas de soleil pourtant… Un ciel blanc et gris-bleu, coupant l’horizon laid d’un versant de mont comme un volcan. * [35] Les œillets, c’est de la viande grasse en pot, de l’écorchure fraîche sans odeur notable, des viscères en fleurs, quand ils sont rouges. D’ailleurs, voyez qu’ils pourrissent, sèchent, bien assis comme un paquet d’ulcères sur une chaise, comme un homme. — De qui fleurit-on l’absence ? Qui donc, qui, oui, ces fleurs remplacent-elles sur la chaise percée ?… Oh ! qu’importe !… Fleurs ou hommes, et alors, quelle est la différence ?… Tout vit, meurt ; tout passe, saignant, tout pourrit, flasque ; tout est voué à La Mort. * [36] Un arbre aussi grand n’entrerait jamais dans une maison si petite : les arbres, les très grands, les vrais arbres, sont des errants magnifiques. Ce sont les Juifs du ciel, parmi les transhumants, les troupeaux errants des nuages ; des Juifs cherchant leur Judée au ciel : les vrais Juifs. [Pour prolonger votre lecture, un hommage à un grand homme de télévision, comme — hélas ! — il n’y en a plus guère : Jean-Marie Drot, l’auteur du documentaire en treize volets : Les Heures chaudes de Montparnasse.] [1] .— La Folle (1921-1922). [2] .— Retour de l’école après l’orage (1939). [3] .— L’Arbre couché (1922-1923). [4] .— Arbres de Vence (1929). [5] .— Jour de vent à Auxerre (1939). [6] .— Nu de femme (1933). [7] .— Les Porcs (1942). [8] .— Femme endormie (1928). [9] .— Bœuf écorché (1925). [10] .— Portrait du peintre Émile Lejeune (1921). [11] .— Paysage et maison (?). [12] .— Jeune fille à la poupée (1932). [13] .— La Fillette à la barrière (1942). [14] .— Poissons et tomates (1926-1927). [15] .— Portrait d’un garcon en bleu (1929). [16] .— Torse de femme au fond bleu (1927-1928). [17] .— Nature morte à la raie (1924). [18] .— Le Pâtissier (1922-1923). [19] .— Volaille morte (1924). [20] .— La Cathédrale de Chartres (1933). [21] .— La Raie à la bouilloire (1923). [22] .— Femme à la robe bleue (1924-1925). [23] .— Le Valet (1928). [24] .— Le Garçon d’étage (1928). [25] .— Valet de chambre (1927-1928). [26] .— Nature morte à la soupière (1916). [27] .— Le Chasseur de chez Maxim’s (1933). [28] .— Portrait de Madeleine Castaing (1928). [29] .— L’Enfant de chœur en buste (1928). [30] .— Paysage tourmenté (1919). [31] . La Maison blanche (1919). [32] . Paysage à Cérêt dit « à l’arc-en-ciel » (1921). [33] .— Femme de profil (1937). [34] .— Paysage du midi (1921). [35] .— Les Œillet rouges (1921-1922). [36] .— Le Grand arbre (1942). Voix (poèmes)