Repenser l’autorité institutionnelle Tristan Storme, 7 octobre 20076 août 2023 Tristan Storme est doctorant en philosophie politique à l’Université Libre de Bruxelles et aspirant du FRS-FNRS. La version PDF de cet article est disponible en bas de page. Repenser l’autorité institutionnelle à l’aune d’une reconfiguration du « vivre-ensemble » « C’est un lien fort que la parenté et l’habitude de vivre ensemble. »(ESCHYLE, Prométhée enchaîné) « Nous travaillons ensemble pour quelque chose qui nous réunit, au-delà des blasphèmes et des prières. Cela seul est important. »(Albert CAMUS, La Peste) [sommaire] Introduction S’il est une thématique complexe et périlleuse que l’on ne saurait espérer plus actuelle, achevalée sur plusieurs disciplines universitaires, c’est bien celle du poids des attentes institutionnelles dans les interactions quotidiennes. Le façonnage des individus qu’entraîna l’inscription de ces derniers au cœur des schémas d’autorité régissant la structure de nos sociétés pousserait à l’adoption d’une pluralité et d’une variété de rôles sociaux intrinsèquement dépendants du contexte. La notion de rôle s’entendrait ainsi — à tout le moins, c’est ce qui pourrait ressortir d’une lecture confrontée de James Coleman et de George Herbert Mead [1] — dans un rapport intime aux institutions statonationales : c’est suivant les circonstances et selon l’influence d’un certain modus operandi institutionnel que se modulerait l’agir social d’une collectivité. La survenance contemporaine de situations où les « règles » perdent de leur prégnance et de leur ténacité apparaît dès lors comme un obstacle majeur au saisissement de la teneur générale des rôles de chacun — ou encore, comme un effacement des repères nécessaires à la caractérisation des identités collective et subjective. Le constat d’un étiolement des institutions devient synonyme d’un dépérissement patent du concept même d’autorité. L’homothétie de la potestas à partir de l’auctoritas serait considérablement mise en branle, ce qui dépouillerait entièrement les institutions étatiques de toute légitimité apparente. Par conséquent, le respect des ordonnances institutionnelles ne garantirait plus aucunement la pérennité d’une nomenclature stable des rôles sociaux et sociétaux. Force est de reconnaître que semblable thème est dorénavant porté aux nues : de François Dubet à Alain Renaut, on ne compte plus les philosophes et sociologues qui dépeignirent la visibilité effarante d’une crise du « modèle » institutionnel d’ensemble — à travers néanmoins, notons-le, des argumentaires sensiblement dissonants [2]. Il s’agira pour nous d’aborder la perspective d’un déclin institutionnel sur le terrain de la philosophie politique plutôt que sur celui de la sociologie. Alors qu’une telle « crise » constitue une épreuve pour une approche sociologique des rôles sociaux, repenser le sens et la forme de la notion d’autorité réclame essentiellement la mobilisation de raisonnements proprement politico-philosophiques. Le processus de délégitimation croissante des institutions demeure indissociable du pluralisme social qui agite le corps national et, en corollaire, d’une mise au ban progressive des hypostases « modernes » : il devient de moins en moins évident d’imiter « le » langage de la société tant celui-ci se décline désormais en de nombreux idiolectes. Le citoyen ne s’estime plus représenté et houspille, en conséquence, la structure institutionnelle nationale. La question du sens de l’ « être politique » disparaît sous les coups du relativisme et de l’individualisme ; l’autorité politique s’en retrouve alors considérablement ébranlée, affaiblie à travers la sclérose de l’agir ensemble. Hannah Arendt avait déjà critiqué, en son temps, cette antinomie catégorique entre le « On » et le « Moi » — le fait qu’il soit considéré que « la réalité publique ne […] [serve désormais] qu’à cacher les vraies réalités et à empêcher la révélation de la vérité. » [3] Le pouvoir vient à manquer de l’aval indispensable à la maintenance de son autorité ; les institutions périclitent pour cause d’une fragmentation du tissu sociétal. Ce tableau aux accents a priori péremptoires, que nous avons ici dressé en quelques lignes, ne tombe pourtant pas de nulle part : il constitue le postulat de départ, l’hypothèse de travail de nombreux courants qui animent le champ de la philosophie politique. Aussi bien communautariens (Walzer, Sandel, Taylor) qu’étatistes (Schmitt, Maschke, Gauchet) constatent l’amenuisement du sens politique — de l’influence des institutions sur la constitution de l’identité subjective — à partir d’une dislocation du « vivre-ensemble » — de l’identité nationale ou collective. Comment comprendre l’expression « repenser l’autorité sous l’angle d’une réflexion politico-philosophique » ? Une pareille formulation traduit sans doute la nécessité d’un sauvetage de l’identité collective qui ne peut toutefois s’opérer à l’exclusion des libertés individuelles. L’identification du citoyen avec la communauté nationale, qui se devrait, quant à elle, de fédérer l’ensemble des groupes d’appartenance dans l’optique d’un juste fonctionnement des institutions étatiques, ne semble plus aller de soi. Imaginer un remodelage ou une reconfiguration du « vivre-ensemble » à travers lequel se régénèrerait l’autorité institutionnelle n’est certainement pas la seule alternative possible ; une telle démarche n’est cependant pas dépourvue de tout intérêt heuristique puisqu’elle se fixe pour objectif le maintien du cadre national et la réactivation d’un sentiment d’appartenance s’y référant. En acceptant ce bornage restrictif en prodrome, notre question de départ revêt toute sa pertinence : « Comment procéder à une repique de l’autorité des institutions à l’aune d’une redéfinition des modalités de « formation » de l’identité nationale ou collective ? » Le terme « formation » ne doit pas être entendu suivant l’acception d’une génération identitaire qui se penserait à neuf, mais plutôt au sens d’une dynamique processuelle — d’une pédagogie de l’identité. D’autre part, nous cantonnerons notre étude au cadre strictement statonational — comme nous l’avons d’ailleurs largement laissé sous-entendre à travers l’énoncé de notre problématique. Ceci revient surtout à éluder le paradigme de l’intégration régionale (et du marco-régionalisme institutionnel) ainsi que les difficultés qui en découlent, telles l’assertion d’une ère « postpolitique » ou l’affirmation d’une dilution du politique accompagnant la construction européenne. Nous procéderons en trois étapes. Dans un premier temps, nous approcherons la pensée de deux auteurs communautariens, à savoir Charles Taylor et Avishai Margalit, avant d’aborder, dans un second temps, les réflexions étatistes telles qu’elles se présentent au travers du libéralisme politique de John Rawls et du conservatisme antilibéral de Carl Schmitt. Nous chercherons à démontrer combien à la fois communautariens et étatistes s’avèrent dans l’incapacité de refondre une identité nationale encline à régénérer la légitimité des institutions qui la régissent. C’est alors que nous proposerons, finalement, ce qui nous semble composer les préliminaires d’une réponse à partir d’une lecture très personnelle et confrontée de la pensée éthique et politique de Paul Ricoeur et de Jean-Marc Ferry. 1. Taylor et Margalit : le point de vue des communautariens Parue il y a un peu plus de dix ans, La société décente [4] du philosophe israélien, Avishai Margalit, avance pour l’essentiel un terreau éthico-normatif dans lequel prendrait racine un paramétrage nouveau du fonctionnement des institutions étatiques. Bien qu’il ne revendique en aucun endroit de l’ouvrage son appartenance au courant communautarien, Margalit, ami déclaré du grand théoricien Michael Walzer [5], conçoit et prône une architectonique qui révèle une proximité de pensée plutôt flagrante avec les idées maîtresses du communautarianisme — les raisonnements qui suivent ici suffiront largement à en témoigner. Dès l’introduction de l’ouvrage, la société décente est annoncée comme « une société dont les institutions n’humilient pas les gens. » [6] Ceci dit, nous allons le voir, dans une telle définition, ce sont à la fois le concept d’humiliation en tant que tel et le concept d’institution qui posent problème, ou plus exactement : leur congruence systématique supposée — l’articulation syntagmatique entre « humiliation » et « institutions ». De telles incertitudes analytiques viennent en grande partie invalider la vocation empirique du concept. La société dite « décente », dont Avishai Margalit affirme l’incompatibilité avec le fonctionnement actuel de nos institutions modernes, trouve l’impossibilité de son déploiement concret au sein même de sa structuration analytique — ce qui entache à souhait l’éventualité tangible d’un véritable recadrage de l’identité collective susceptible de sous-tendre une réactivation de l’autorité des institutions. Le philosophe détermine d’entrée de jeu ce qu’il faut entendre par « humiliation », autrement dit : quelles sont « les raisons de se sentir humilié » [7]. Le concept est alors avancé comme un concept contingent dont le gel de la substance dépend directement d’une communauté morale donnée. En effet : « Une société décente est une société qui combat les conditions constituant aux yeux de ses membres une raison de se sentir humiliés. » [8] Un tel projet sociétal repose donc sur un consensus préalable — consensus de l’ensemble des membres au sujet des fondements moraux situés à la base d’une véritable communauté politique. Il s’agit, plus exactement, de caractériser substantiellement le rapport négatif des co-sociétaires à ce qu’ils s’imaginent constituer une humiliation. Sans l’avouer, Margalit rejoint sur ce point les raisonnements de Michael Walzer, selon lequel, s’il n’y a pas recoupement de la communauté légale par la communauté morale, il n’y a pas de communauté politique [9]. En d’autres termes : une communauté n’existe politiquement que si ses membres partagent des valeurs chaudes et épaisses, des visions du monde et des conceptions morales particulières ; elle ne peut se laisser sous-tendre par ce qui statuerait sur le « bon » de manière abstraite. Une société décente requiert nécessairement l’existence d’un consensus concernant les « raisons valables » de se sentir humilié. Bien plus encore, partant d’une définition positive de la société décente — à savoir, cette société « dont les institutions accordent à tous les hommes l’honneur qui leur est dû » [10] —, on comprend combien pareille entreprise suppose un fonds de principes éthiques partagés — et en tout cas, une réponse à la question « quelle est la spécification de l’ »honneur » qui échoit naturellement à l’homme ? » Alors que Michael Walzer considère le « juste » comme inséparable du « bon » [11], Margalit avalise le présupposé suivant lequel une conception commune de la « vie bonne » constitue le réquisit indispensable de la « décence ». Nonobstant la contingence annoncée du principe générateur de la « décence », une semblable société vient s’inscrire dans une embrasure factice, dans un entre-deux virtuel — il faut entendre : entre une theoria et une praxis. Margalit concède effectivement qu’en raison d’un intérêt centré sur l’aspect concret des institutions, les distinctions conceptuelles sont à même de s’estomper [12]. En lieu et place d’une architectonique rigoureuse, l’auteur dévoile un concept d’humiliation à géométrie variable et, dans un prolongement du geste, l’indétermination de la jointure qui le raccorderait aux institutions concrètes. L’aporie qui embrouille la cohérence systématique se situe au niveau d’une tension regrettable entre objectivation (arbitraire) et intersubjectivation (concertée) de la notion d’humiliation institutionnelle. La nature contradictoire de la société décente transparaît notamment lorsque Margalit s’efforce de réfuter la thèse anarchiste d’après laquelle « aucune société dotée d’institutions permanentes […] ne peut être une société décente. » [13] Selon toute vraisemblance, il aurait certainement été plus logique d’affirmer que, si l’humiliation chez les anarchistes se distingue par une substantialisation singulière, elle répond cependant à la condition formelle posée par Margalit — par le biais d’un consensus des co-sociétaires anarchistes sur le fait que « toute diminution éventuelle de l’autonomie d’un individu est une humiliation. » [14] Il s’agit bien d’un seul et même concept fonctionnel — le concept générique d’ « humiliation » — renfermant des énoncés aux substances différentes. En persistant à démontrer la justesse de sa notion, le philosophe israélien atteste qu’il confond la substance et le concept : si des individus au sein de l’unité nationale, les anarchistes, n’entendent pas l’humiliation en son sens, il ne peut qu’y avoir nécessairement dissensus. Margalit vient lui-même ébranler la nature intersubjective de l’humiliation : il souligne que sans institution, la société anarchiste est condamnée à une « pauvreté flagrante de ses conditions d’existence » [15], ce qui lui apparaît inexorablement comme une humiliation évidente. Or, si l’on s’en tient à la définition de l’humiliation stricto sensu, c’est aux co-sociétaires qu’il reviendrait de décider si, oui ou non, une telle société s’avère humiliante. Le correctif d’une objectivation arbitraire, introduit aux dépens d’une intersubjectivation concertée pure et simple, ruine notablement le caractère opérationnel de la société décente. L’acception du terme « institution », chez Margalit, n’est pas non plus sans poser problème à la vocation empirique du projet. Les institutions d’une société décente ont le devoir de ne pas rejeter hors d’un groupe d’inclusion une personne qui a légitimement le droit de s’en réclamer [16]. « Un groupe d’inclusion possède une culture et un caractère communs, lesquels incluent une multitude d’aspects importants de la vie. » [17] Pour le dire autrement, la coexistence d’une pluralité de groupes d’inclusion sur le territoire national — sachant que de tels groupes ne recoupent que rarement les nationalités — correspond à une reconnaissance explicite du multiculturalisme. Les institutions sont sommées de reconnaître ces divers groupes d’inclusion, c’est-à-dire l’hétérogénéité des valeurs nationales et la réalité du pluralisme social. Dès lors, par-delà l’indétermination du concept d’humiliation, et dans la mesure où les institutions d’une société décente se voient dans l’obligation de consacrer aussi bien moralement que légalement la diversité des communautés d’appartenance sur un seul et même sol, comment l’ensemble des nationaux — des membres de la société — parvient-il à s’accorder sur l’univocité de la substance du concept d’humiliation ? Cette congruence supposée entre l’humiliation et les institutions achoppe sur le postulat communautarien, sans pour autant autoriser une refonte indispensable de l’identité nationale. Par ailleurs, le « test » [18] auquel l’auteur soumet nos structures institutionnelles modernes — de la bureaucratie à l’État-providence — omet la responsabilité de l’individu : les institutions sont pensées négativement au nom des libertés fondamentales — au nom du droit de l’être humain de ne pas souffrir l’humiliation. Dans une telle perspective, il devient extrêmement incommode de penser à neuf la légitimité des institutions qui, de fait, se voient octroyer la seule obligation formelle de ne pas faire — ne pas humilier les gens —, condition première à l’établissement d’une société décente. En dernier ressort, la fragmentation du corps national en plusieurs communautés de valeurs entrave la possibilité d’un lien fédératif suffisant, capable de ranimer l’autorité des institutions. Ces conflits communautaires (et axiologiques) dont nous parle Charles Taylor — que nous discuterons de suite — ne trouvent aucun apaisement au travers du paradigme de la société décente. La pensée de Charles Taylor présente l’immense intérêt de se situer immédiatement « à la hauteur de la problématique contemporaine du pluralisme démocratique. » [19] L’étiolement de l’identité nationale dépendrait étroitement d’une illusion engendrée par la modernité. L’individu émergerait ainsi en tant que nouveau sujet désengagé de toute appartenance sociale, poursuivant ses objectifs personnels en dehors des formes de biens qui transcenderaient l’accomplissement de ses propres désirs [20]. Cependant, pense Taylor, l’idée d’un « Moi » susceptible d’objectiver le monde environnant est tout bonnement impensable : il s’agit d’un leurre qui accompagnerait l’ère moderne, étant donné qu’ « un moi n’existe qu’à travers […] des réseaux d’interlocutions. » [21] L’identité subjective se concevrait indéniablement au sein de tels réseaux dont on ne peut se dégager. Chaque individu négocierait son identité, pour l’essentiel, au travers d’un dialogue avec d’autres [22]. La collectivité — la communauté d’appartenance — façonnerait aussi chaque co-sociétaire jusqu’à lui imposer l’assimilation de certaines valeurs et de certains biens qui ne peuvent se développer que suivant certaines conditions socioculturelles — il existerait, de la sorte, une véritable obligation d’appartenance dans le chef des individus [23]. « Comme un individu libre ne peut maintenir son identité que dans une société ou une culture d’un certain type, il est nécessairement concerné par la forme de cette culture dans son ensemble. » [24] Coexisteraient sur un même territoire, diverses communautés dont l’inclusion des membres est rendue possible par le partage de valeurs dites « chaudes » ou non-abstraites. D’après Charles Taylor, toute communauté morale classe les biens qui doivent être poursuivis selon l’établissement d’un ordre lexicographique — pour recourir au jargon rawlsien. Certains biens, qu’il appelle « hyperbiens », seraient reconnus comme supérieurs aux autres ; ils rencontreraient l’adhésion particulièrement intense des membres et remporteraient la première place à la suite des « conflits entre biens » [25]. La présence sur le sol d’un seul et même État de plusieurs « groupes d’inclusion » — pour le dire comme Margalit — qui approuveraient des ordres lexicographiques divergents — qui ne partageraient pas des « hyperbiens » identiques — rendrait la recherche d’un consensus, sinon impossible, du moins particulièrement difficile. Chaque individu vit dans un groupe d’inclusion « dont les pratiques incarnent une certaine notion de l’identité et des biens humains. » [26] Tant que sera exigé le partage de valeurs culturelles concrètes — plutôt que de normes universelles abstraites —, la reconstruction d’une identité collective consistante se fardera sous les traits de l’utopie. La primauté du « bien » (ou du « bon ») sur le juste — de la « vie bonne » sur la « vie juste » — empêche l’instauration d’une identité nationale capable de légitimer à nouveau l’autorité des institutions. Taylor envisage la scansion de principes universels uniquement dans la mesure où ceux-ci permettent « de penser nos identités diverses comme égales » [27] — c’est-à-dire, dans la mesure où l’universel consent la pluralité du corps social. Chacun à sa manière, Taylor et Margalit, élude l’hypothèse d’une nouvelle « formation » de l’identité collective et nationale, puisqu’un consensus sur des principes éthiques conséquents s’avère sensiblement problématique. On a en effet pu constater qu’il devient relativement impossible dans nos sociétés multiculturelles d’impulser les valeurs depuis l’établissement d’un consensus de tous les ressortissants. Les communautariens, s’ils dépeignent un constat pointu et éclairant — s’ils soulèvent l’importance de penser le politique dans une prise en considération de la multiculturalité —, ne nous permettent pas pour autant de repenser l’autorité à partir d’une recomposition des modalités du « vivre-ensemble ». Qu’en est-il cependant d’une certaine pensée étatiste ? 2. Rawls et Schmitt : un certain point de vue étatiste Dans son œuvre de jeunesse, entre 1914 et 1933, Carl Schmitt a posé les jalons d’ « une véritable philosophie de l’État » [28], systématique et rigoureuse, principalement inspirée par le catholicisme, l’hégélianisme et le nationalisme. Celui que d’aucuns ont pu appeler « le jeune Schmitt » [29] — Schmitt avant qu’il ne rallie la NSDAP [30] — tenta de mettre sur pied une théorie politique singulière qui prend appui sur une anthropologie d’inspiration augustinienne. Pendant presque vingt années de réflexions théoriques, le penseur de Plettenberg dessina avec soin l’essentiel de sa pensée étatiste antilibérale, dont la tradition patristique représente, à n’en pas douter, une influence majeure, susceptible de garantir l’autorité des institutions ecclésiales et étatiques. « En démocratie, nous dit Carl Schmitt, le peuple est le sujet du pouvoir constituant. […] Toute constitution démocratique présuppose ce peuple capable d’action. » [31] Le juriste concède ouvertement que tout pouvoir s’origine dans un peuple préexistant, et que celui-ci doit être habilité à agir politiquement. Le pouvoir provient du peuple, au sens où la voluntas — le critère extrême d’association : le motif initial qualifiant la relation collective — devra s’ « exprimer » à travers les décisions publiques du représentant. Ce dernier est ainsi tenu de « présentifier » — de rendre présent sur la scène publique — l’essence du peuple, tel que celui-ci se conforma dans un passé partiellement mythique et, évidemment, bien antérieur à l’émergence des sociétés multiculturelles. Cette conception limitée de la souveraineté populaire prend sa source dans l’assomption dogmatique des conséquences politiques d’une affirmation du péché originel [32]. Déjà, en 1921, dans La dictature, Schmitt écrivait que « la méchanceté naturelle de l’homme est un axiome » [33] et que la dangerosité du peuple se doit d’être domestiquée. L’assertion d’un pessimisme anthropologique constitue le véritable point de départ des raisonnements politico-philosophiques du juriste. Les textes sont clairs, cette souillure, universelle et héréditaire, ne peut en aucun cas se diluer ou disparaître sous les effets d’une prophylaxie de provenance humaine : naturelle, la méchanceté de l’homme est un axiome intouchable, qui exclut toute perspective prométhéenne. La Chute — la fin du monde édénique — a radicalement transformé la figure d’un homme, désormais rongé par le Mal et la corruption [34]. La sortie du status originis, d’un monde paradisiaque créé à l’image du divin, correspond à l’entrée dans l’état de nature, dans le status naturalis. Dorénavant, l’être humain porte en lui les gènes d’une dépravation morale irrécusable à la source des nouveaux conflits qu’il s’agira de maîtriser politiquement. L’état de nature n’est pas l’exorde de la théorie schmittienne du politique ; celle-ci s’origine dans un status antérieur et préalable, dont la disparition indique la nécessité d’un troisième « état ». Quelque chose précède l’état de nature chez Carl Schmitt : le status originis, ou le monde édénique, qui fonde théologiquement l’impératif du politique. Par conséquent, l’état de nature précède l’état politique — le status politicus — et constitue à proprement parler une étape à la fois prépolitique et postédénique. L’homme est condamné à vivre sur terre, dans un monde précaire, à l’écart du Jardin disparu, dans un chaos informe et discordant ; en d’autres mots : dans un monde respirant la méchanceté de l’espèce, un monde inorganisé politiquement où l’État — pôle téléologique du politique — apparaîtra comme un palliatif rédempteur. Affirmer (et assumer) la forme étatique, façonner politiquement le peuple, revient à enrayer toute éventualité de tensions internes ou de dissensions intérieures [35]. Car bien qu’associés et liés par la voluntas, les nationaux n’en restent pas moins des êtres humains ; l’État « se donne [ainsi] pour tâche et légitimité de délivrer les hommes de la crainte qu’ils éprouvent les uns pour les autres. » [36] Le gouvernement de l’homme par l’homme devient nécessaire si l’on souhaite maintenir et ancrer plus profondément la nation dans un status politicus. Partant de l’assomption du péché adamique, Schmitt ne pouvait que déboucher sur la finalité étatique, sur la nécessité de l’autorité. En effet, « parce que l’homme est méchant de nature, il a besoin d’être gouverné. » [37] Dans cette mesure, pour le jeune Schmitt : « L’État ne peut pas être injuste » [38] ; et la litote exprime ici bien plus que de simples considérations d’ordre formel (ou « judiciaire ») — l’État ne peut qu’être moralement juste, il est dans l’incapacité morale d’être injuste. « Dans son Dialogue sur le pouvoir Schmitt rappelle que Saint Paul dans L’Épître aux Romains, et, plus tard, le pape Grégoire le Grand affirment que tout pouvoir vient de Dieu et ne peut donc être que bon. » [39] La lecture schmittienne du treizième chapitre de la lettre de Paul (Rm 13) avance une interprétation catholique ad litteram : l’État est au service du « bien » et du « juste », établi et utilisé par Dieu. Insufflés par le Très-Haut, l’autorité et le pouvoir étatiques représentent un expédient nécessaire qui garantirait l’unité du peuple par l’intermédiaire d’une réduction des pluralismes — source évidente des contradictions intérieures aux yeux de Schmitt. Il demeure toutefois inévitable que la tentation du Mal habite l’exercice du pouvoir, éternellement — l’État reste, en effet, aux mains des hommes, porteurs de la souillure originelle. Où donc puiser l’immaculation — ou, tout au mieux, la rémission — requise à la mise en place des autorités terrestres ? Chaque individu poussé à prendre les rênes du pouvoir ne peut parvenir, en raison de sa nature pervertie, à se défaire des chaînes du Mal, à refouler les mauvaises tentations qui animent et infléchissent le sens de l’exercice. Cependant, Schmitt est d’avis que l’institution ecclésiale — l’Église catholique romaine — parvient à surmonter avec subtilité un tel obstacle théorique : elle peut dès lors constituer un modèle idéal pour l’État [40]. Le pape, descendant de l’apôtre Pierre, personnifie l’institution et permet, par ce biais, de rendre l’autorité fonctionnelle ; mais ce n’est pas pour autant qu’en tant que personnification du pouvoir, il tombe sous le couvert d’une tentation malveillante. En proclamant le dogme de l’infaillibilité pontificale, le catholicisme romain conditionnait la personne papale à travers les limites d’une fonction qui lui confère un statut particulier. Dans une telle perspective, le pape, comme homme, est sans importance ; c’est davantage la fonction qui lui prodigue la dignité nécessaire à l’exercice de l’autorité plutôt que ses qualités individuelles d’exception. La fonction conditionne l’individu, le promeut à l’état de « pape » ; ou plutôt, c’est l’individu qui, à travers l’exercice de sa fonction, cesse d’être un homme, se démet de sa mortalité, pour atteindre le statut de « fonctionnaire ». La mort de l’individu équivaut à la naissance du gouvernant qui, puisqu’il ne vit publiquement que par son statut — que par sa fonction — et non par son humanité, échappe à la souillure originelle. Par analogie, le représentant du peuple se voit attribuer l’entendement suffisant en raison des vertus que lui accorde sa fonction. « Même le monarque absolu est donc saisi par cette logique de l’institution qui le dépersonnalise, le prive de ses attributs personnels d’individu égocentrique ou méchant, pour le rendre le serviteur d’une institution qui le grandit. » [41] Le Souverain, immaculé par les mérites de sa fonction, n’est rien d’autre que le doulos de l’État qui, par ailleurs, continue à le construire et à l’instituer en tant qu’individu. La représentation indique la précellence ontologique de la fonction qui rédime le monarque, et l’autorise ainsi à agir politiquement — à décider — en lieu et place du peuple entaché par le péché. Puisque le peuple est corrompu, Schmitt réclame la réintroduction d’une dimension transcendante du pouvoir : le gouvernant doit exprimer ce que désire le peuple — entendons : en garantir l’unité —, tout en « formant » — ou en « imposant » — par le haut ce qu’il devrait « vouloir » s’il était immaculé [42]. Pour Carl Schmitt, les institutions étatiques trouvent leur légitimité ultime au travers de la sphère divine. L’identité collective est stimulée par l’État — entendons : à partir des institutions — qui, sans cesse, infléchit la direction de l’expression politique de la voluntas. Pareille alternative, aux frontières du totalitarisme, brime les libertés individuelles et ne permet en aucun cas une pensée nouvelle de l’autorité appliquée à un contexte multiculturel. C’est, au contraire, l’autorité légitimée par Dieu qui lutte en permanence pour le maintien de l’homogénéité nationale. Dans un même sens, la critique de la démarche procédurale opérée par le libertarien Robert Nozick souligne la potentialité d’une dérive totalitaire qui découlerait, cette fois, de l’étatisme rawlsien. Avec la parution de Théorie de la justice [43] en 1971, John Rawls a considérablement marqué la pensée politique contemporaine de son sceau personnel, allant jusqu’à lui offrir un souffle nouveau. Il est dès à présent devenu impossible d’inscrire de quelconques philosophèmes dans le champ de la philosophie politique sans les confronter simultanément aux réflexions du théoricien américain. À ce propos, Anarchie, État et utopie [44] de Robert Nozick — le second ouvrage qui imprégna en profondeur la théorie politique anglo-saxonne — « est largement consacré à une critique des positions de Rawls. » [45] Pour ce dernier, à l’inverse des communautariens, les principes de justice ne peuvent exister en tant que tels que s’ils relèvent à la fois de la généralité et de l’universalité [46]. L’objectif annoncé de John Rawls — sa principale préoccupation — serait « la réalisation d’un consensus politique de base qui assure des libertés égales à tous les citoyens sans considération de leurs origines culturelles, de leurs convictions religieuses et de leurs projets de vie individuels. » [47] Le philosophe renonce ainsi à l’idéal d’une société unifiée par des valeurs chaudes et épaisses — l’essentiel étant que chaque citoyen accepte d’adhérer moralement aux principes de justice. La pluralité des conceptions du « bien » et l’hétérogénéité des valeurs n’interdisent pas pour autant que chacun des individus, quelles que soient ses origines et ses appartenances, admette d’épouser une culture publique partagée — à savoir, « que la justice soit rendue à tous de manière égale. » [48] Afin que l’établissement du contrat social aboutisse à l’inscription de tels principes universels, John Rawls recourt à une procédure originale reposant sur une fiction heuristique — celle de la « position originelle » garantie par un « voile d’ignorance » [49]. Le jugement des citoyens ne peut dépendre de leurs situations particulières dans la société actuelle. Il s’avère donc impératif que chaque cocontractant ignore la place qu’il occupera dans la société une fois celle-ci remodelée, dans l’objectif assumé de concevoir les bases principielles de ce qui est « bon » pour tous. « Sous les auspices du voile d’ignorance, l’intérêt propre de chaque citoyen est décontextualisé. » [50] Convaincus du fait qu’ils pourraient se retrouver dans toutes les situations envisageables, y compris la plus extrême, les membres d’une société juste en devenir s’accorderont sur deux principes de justice. Selon John Rawls, le voile d’ignorance autoriserait la génération de « deux principes de justice sur lesquels se ferait un accord dans la position originelle. » [51] Le premier principe est celui de l’égalité du partage des libertés au sein du système le plus étendu possible : il est entendu que tous les co-sociétaires doivent bénéficier d’un maximum de libertés dans la mesure où celles-ci ne viennent pas nuire à une répartition égalitaire entre les membres. Mais concentrons nous principalement sur le deuxième principe de justice, car c’est avec son énonciation que transparaissent le plus ostensiblement l’étatisme et l’interventionnisme rawlsiens. Le principe dit « de différence » est avancé comme suit : Toutes les valeurs sociales — liberté et possibilités offertes à l’individu, revenu et richesses ainsi que les bases sociales du respect de soi-même — doivent être réparties également, à moins qu’une répartition inégale de l’une ou de l’autre ou de toutes ces valeurs ne soit à l’avantage de chacun [52]. La formulation d’un pareil principe laisse sous-entendre que la suscitation d’inégalités au sein de la société juste deviendra acceptable si ces dernières bénéficient à l’ensemble des citoyens. Au travers de ses institutions, l’État aurait pour tâche d’assurer l’égale répartitions des « valeurs sociales », tout en recourant à l’usage de correctifs inégalitaires qui permettraient l’obtention d’une égalité plus authentique. Suivant une telle perspective, les plus favorisés se verront contraints par l’État de fournir une part de leurs biens aux plus démunis. Dans son opus magna, Nozick s’interroge quant à savoir si, sur ce point, la philosophie véhiculée dans Théorie de la justice ne flirterait pas avec les bornes du totalitarisme. « Avec le temps, nous dit Nozick, tout modèle de distribution ayant une composante égalitaire peut être bouleversé par l’action volontaire de quelques individus » [53]. Certains citoyens lassés par le système rawlsien pourraient être tentés d’adopter un modèle plus à leur avantage — surtout s’il s’agit des nantis ponctionnés par la logique redistributive. D’après Nozick, si par les transferts de biens, Rawls cherchait à contrebalancer la part d’arbitraire du capitalisme, il ne parviendra à le réaliser qu’à travers l’instauration d’un système lui-même infléchi arbitrairement, car « le principe de différence revient à donner à certaines personnes des parts de distribution plus importantes qu’à d’autres » [54]. Afin de ne pas brader les libertés fondamentales, le seul système acceptable aux yeux de l’auteur libertarien resterait celui qui consiste à entériner le fait que les individus méritent leurs actifs naturels [55]. Pour éviter la fuite en dehors de la société juste, l’État risquerait d’imaginer à terme des mécanismes d’intervention accrue dans la vie des individus. En effet, il serait foncièrement « injuste » que certaines personnes demeurent soumises à la logique redistributive contrairement à d’autres. À travers l’entreprise de son propre maintien, le projet d’une société juste n’est pas du tout exempt de dérives totalitaires. À la limite, l’étatisme rawlsien imposerait par le haut la persistance des fondements universels générateurs de l’identité collective. Comme chez Carl Schmitt, l’intervention des institutions — depuis les sphères du pouvoir — ne peut que rencontrer la désapprobation d’une bonne partie du peuple et, de fait, apparaître comme illégitime. Chez ces deux auteurs, l’autorité s’impose plutôt qu’elle ne se refond à l’aune d’une recomposition du « vivre-ensemble ». On a pu le voir, autant étatistes que communautariens ne nous fournissent une réflexion suffisante à la re-formation de l’identité nationale dans l’optique avouée de penser à neuf l’autorité des institutions. Néanmoins, nous croyons déceler les prémisses d’une réponse à partir d’une lecture personnelle et confrontée de la pensée éthico-politique de Paul Ricoeur et de Jean-Marc Ferry. 3. Ferry et Ricoeur : vers une identité « reconstructive » Trois schémas susceptibles d’appréhender une recomposition du « vivre-ensemble » se sont jusqu’à présent présentés à nous. L’exposé des réflexions communautariennes a suffi à indiquer combien une identité collective basée sur un consensus au sujet des valeurs culturelles concrètes relève de l’utopie. L’acceptation de valeurs partagées ne devient ainsi possible que moyennant une imposition par le haut, ce qui perturbe en conséquence l’objectif d’une re-légitimation des institutions. Par ailleurs, si les citoyens sont en mesure de s’entendre sur l’adoption de principes universels, la pérennité de tels principes dépendrait largement d’une intervention étatique de plus en plus fréquente dans la vie des individus. Dès lors, peut-on envisager l’hypothèse d’un raisonnement qui déboucherait sur des principes généraux et abstraits compatibles avec un maintien efficient des libertés fondamentales ? Tout le problème est précisément de savoir comment parvenir à la « construction » d’un collectif — d’une identité collective — qui ne violerait pas la liberté des individus. En guise d’épilogue, nous livrons les réflexions qui vont suivre comme une tentative de réponse sans prétention. Elle prend pour point de départ les « paradoxes de l’individualisme » que le philosophe Paul Ricoeur mit en exergue à travers la rédaction de ses différents travaux. La consécration moderne des libertés de l’individu porta ce dernier jusqu’à la jouissance d’une suprématie en droit. Cependant, Paul Ricoeur est d’avis que, loin d’isoler le citoyen de l’ensemble du corps social, ces libertés qui lui sont propres ne le désocialisent pas de facto : le contenu normatif des lois n’est que le résultat d’une délibération générale — d’un agir juridico-politique de toute la société. La prépondérance de jure de l’individu ne soustrait donc pas celui-ci à l’expérience de facto d’une socialisation intersubjective — « à une inscription au sein de la communauté historique » [56]. Ce paradoxe amène Ricoeur à s’interroger sur les conditions de possibilité d’une action responsable de la part des citoyens qui composent la communauté d’ensemble [57]. Malgré le déclin palpable de la symbolique du collectif, chacun d’entre nous hérite de conceptions culturelles particulières. Le philosophe n’en tire pas pour autant qu’à côté des libertés individuelles, il faille protéger les valeurs historiques au détriment de la constitution du « vivre-ensemble ». La sociabilité de fait rappelle au quotidien l’existence d’un autre impératif : avant tout, « il faut construire, fonder la Cité » [58]. L’analyse du concept d’ « identité narrative » exhuma ainsi la nécessité de penser la collectivité dans les termes d’une « construction » [59]. Le citoyen, partie prenante de la société, a le devoir moral de réfléchir aux linéaments d’une identité inclusive qui serait à même de comprendre la pluralité des cultures en présence, et ce dans un respect total des droits de l’homme. « La leçon du détour qu’opère Paul Ricoeur par « l’identité narrative » est que nos identités politiques sont toujours à la fois héritées et à construire. » [60] Jean-Marc Ferry est certainement celui qui, à la suite de Ricoeur, approfondit au maximum cette tension dialectique entre le « déjà là » et le « pas encore » de l’identité politique, la poussant jusqu’à ses dernières conclusions. Dans l’avant-propos à son Éthique reconstructive, Jean-Marc Ferry rapporte que l’originalité d’une semblable entreprise de reconstruction des identités suit « une exhortation de Paul Ricoeur » [61]. Il s’agit pour Ferry de concevoir la méthode qui permettrait d’aboutir à une communauté politique « postnationale » [62]. De tels développements se laissent, mutatis mutandis, aisément transférer au niveau du cadre de la nation, étant donné la coexistence de plusieurs identités culturelles sur le territoire des États. La réalité du multiculturalisme qui agite nos sociétés témoigne que recourir à la réplication du mode narratif des constructions nationales, dans l’objectif d’une refonte plus « actuelle » de l’identité collective, vouerait inexorablement un tel projet à l’échec. On ne peut plus désormais s’en remettre à une continuité narrative des traditions : l’identité narrative, à la fois auto-apologétique — immunisée contre la critique — et auto-centrée sur le passé historique ne s’ouvre pas volontiers aux identités concurrentes. Reconstruire une identité collective inclusive réclame le partage d’une base morale suffisamment puissante. En préalable à l’exercice reconstructif, chaque « groupe d’inclusion » — chaque identité culturelle — se devrait de rompre avec l’autocentrisme et de faire montre d’une sensibilité critique à l’égard de l’histoire [63]. C’est à la culture majoritaire de porter au pinacle et d’encourager le recours à l’autocritique et au principe d’ouverture : une reconnaissance de la multiculturalité devra indéniablement passer par l’aptitude à s’ouvrir aux autres, à se mettre à la place d’autrui, et par la capacité de remettre en cause la narrativité de sa propre tradition. Une telle décentration ne vient pas rembarrer la liberté des individus ; en tant que principe abstrait, elle stimule l’échange des arguments sur une base égalitaire afin de reconstruire l’identité de la nation. « L’expression « identité reconstructive » caractérise, en effet, une aptitude spécifique de notre époque à se relier aux autres identités. On pourrait, en ce sens, parler d’une identité négative marquée par cette réflexivité particulière. » [64] Il s’agit d’approcher les différentes traditions régionales et culturelles comme des ressources que l’on ne peut promouvoir de manière indivise. En les considérant de façon critique, sur la voie argumentative, la mémoire dominante se dépouille du caractère exclusif afin d’autoriser le surgissement de ce qui paraîtra acceptable à tous. Le partage des principes moraux abstraits que constituent l’ouverture et la sensibilité autocritique ouvre la possibilité d’une confrontation publique des convictions. Plutôt que de recourir à l’idée d’un « consensus par recoupement » [65] de type rawlsien, où les citoyens s’entendent sur quelques principes fondamentaux, le « consensus par confrontation » [66] apparaît sous les traits du réquisit politique de la réconciliation des identités singulières. Un droit formel — l’entente sur le partage de principes fondamentaux — n’est nullement habilité à permettre la prévention d’un contentieux latent : cette éthique reconstructive possède une fonction parfaitement distincte de la communauté légale. Au travers d’une telle procédure, l’identité devenue réflexive — ouverte aux autres récits et à l’exercice argumentatif — composerait le soubassement original d’un remodelage de l’autorité des institutions Nous ne pouvons échapper au devoir moral de réfléchir aux conditions de réalisation d’un « vivre-ensemble » approuvable par tous. Si chaque identité culturelle accepte le partage des principes d’ouverture et de reconsidération critique de l’histoire propre — deux principes très généraux qui ne viennent pas buter sur la nécessité d’un respect des libertés fondamentales —, la thèse d’une identité reconstructive pourrait bien représenter les débuts d’une solution au problème de la crise contemporaine de l’autorité institutionnelle. Conclusion Nous nous demandions dans les premières lignes de cet article comment redéfinir les modalités de « formation » de l’identité nationale ou collective d’une telle manière qu’une re-légitimation de l’autorité institutionnelle soit possible. Nous avons signalé en préambule qu’un sauvetage de l’identité collective ne peut toutefois s’opérer aux dépens d’une sauvegarde des libertés individuelles. Pour traiter d’une telle problématique, nous avons procédé en trois étapes. Dans un premier temps, nous avons pénétré les idées de deux penseurs communautariens, Charles Taylor et Avishai Margalit, avant de considérer, dans un second temps, les réflexions étatistes de John Rawls et de Carl Schmitt. Nous avons finalement proposé d’avancer les prémisses d’une réponse à la question à partir d’une lecture plutôt personnelle des écrits de Jean-Marc Ferry et de Paul Ricoeur. La société décente que conçoit Margalit réclamait, on l’a vu, l’existence d’un véritable consensus préalable de l’ensemble des co-sociétaires au sujet des fondements moraux sous-tendant la réalisation du projet. Le philosophe israélien rejoint l’avis des communautariens suivant lequel une conception commune de la « vie bonne » demeure indispensable à la mise en place d’une communauté politique. Dans une société décente, les institutions étatiques sont sommées d’avaliser moralement et légalement la pluralité des communautés d’appartenance — la réalité du multiculturalisme —, ce qui, en conséquence, vient considérablement mettre à mal l’hypothèse d’un accord sur la nature des valeurs partagées — et, dans ce cas précis, sur la substance du concept d’humiliation. L’analyse des réflexions de Taylor nous poussa aux mêmes conclusions : la présence sur le territoire national de plusieurs « groupes d’inclusion » qui n’adhèrent pas nécessairement aux mêmes « hyperbiens » émèche en profondeur l’éventualité d’un consensus authentique. Aussi bien Charles Taylor qu’Avishai Margalit nous écartent de l’effectivité d’une nouvelle « formation » du « vivre-ensemble », puisqu’un accord consensuel sur des principes éthiques conséquents s’avèrerait particulièrement ardu. D’après Carl Schmitt, l’État est dans l’incapacité morale d’être injuste. Le pouvoir terrestre — l’État et ses institutions — apparaîtrait comme une rémittence du Mal originel. La fonction monarchique rédime le Souverain et l’autorise, également, à agir sur la scène politique au nom du peuple souillé par l’assomption du péché adamique. Si l’État représente le peuple — s’il exprime ce que celui-ci désire d’une manière abstraite —, il s’attèle principalement à « former » la voluntas, à imposer par le haut ce que devraient « vouloir » les individus entachés par le péché. Le libertarien Robert Nozick remarqua, quant à lui, combien l’étatisme de John Rawls était susceptible de fléchir dans une même direction quasi-totalitaire. Afin d’éviter que certains membres de la société juste envisagent la conception d’un autre modèle plus à même de les satisfaire personnellement, l’État rawlsien, qui lutterait pour un maintien du système égalitaire, aurait tendance à s’introduire de plus en plus fréquemment dans la vie des individus. Autant Schmitt que Rawls imposent, à la limite, les modalités de conception du « vivre-ensemble » à partir des institutions elles-mêmes. Une semblable entreprise, aux portes du totalitarisme, négligerait la liberté des individus et, de ce fait, empêcherait la génération d’une nouvelle pensée de l’autorité appliquée au contexte multiculturel. À la suite de Paul Ricoeur, Jean-Marc Ferry proposa la thèse d’une identité « reconstructive » qui, adaptée à la situation nationale, pourrait bien constituer l’exorde d’une solution au problème qui nous occupe. Marquées par le devoir moral de réfléchir à l’élaboration d’une identité collective inclusive, les identités culturelles sont appelées à se décentrer par l’intermédiaire de deux principes généraux qui n’interféreraient pas avec le respect des libertés fondamentales. Chaque culture, reconsidérant son histoire propre, s’ouvrirait aux traditions qui lui sont étrangères. Par la confrontation des arguments, la reconstruction d’une identité commune, acceptable par tous, deviendrait désormais possible. L’identité devenue réflexive présenterait alors l’avantage de repenser à neuf l’autorité des institutions. Il est certain qu’un tel problème, complexe et actuel, nécessiterait de plus amples approfondissements. Néanmoins, à travers l’exposé d’une certaine pensée éthico-politique française, nous avons cherché à montrer qu’il devient de plus en plus urgent de concevoir l’identité collective à partir d’une refonte généralisée, à partir de nouveaux termes et de nouvelles modalités de fondation. Le vieux modèle de l’État-nation n’est certainement plus à même de gérer avec aisance les réalités de nos sociétés multiculturelles. [1] Cf. COLEMAN James S., The Asymmetric Society, Syracuse /New York, Syracuse University Press, 1982 ; et MEAD George Herbert, L’esprit, le soi et la société, trad. et intro. par Daniel Cefaï et Louis Quéré, Paris, PUF, coll. « Lien social », 2006. [2] François DUBET est d’avis que maîtriser les effets néfastes de la mutation actuelle des institutions doit passer par l’invention de nouvelles figures institutionnelles plus démocratiques (cf. Le déclin de l’institution, Paris, Éd. du Seuil, coll. « L’épreuve des faits », 2002). Pour Alain RENAUT, par contre, le refus de supporter toute relation dissymétrique entre citoyens — l’aplanissement nécessaire de tout dénivelé — constitue le résultat d’une dynamique irréversible et illimitée de démocratisation (cf. La fin de l’autorité, Paris, Flammarion, coll. « Champs », 2006). Voir également les réflexions dialogiques du philosophe français avec ses confrères Pierre MANENT et Albert JACQUARD autour de la question de l’institution scolaire (cf. Une éducation sans autorité ni sanction ?, Paris, Grasset, coll. « Nouveau collège de philosophie », 2003). [3] Hannah ARENDT citée par REVAULT D’ALLONNES Myriam, « Lectures de la modernité : Heidegger, Carl Schmitt, Hannah Arendt », Les Temps Modernes, n°523, février 1990, p. 100. Il faut ici entendre le « On » dans un sens heideggérien. Selon le philosophe de Fribourg, dans la quotidienneté, le sujet agit d’abord tel qu’ « On » agit, c’est-à-dire sous la forme d’un sujet anonyme. Arendt crut déceler à cet endroit l’hostilité de Heidegger envers la polis. L’agir ensemble pourrait en effet se laisser interpréter comme une brimade du Dasein. Suivant la logique du « On » : « Chacun est l’autre et nul n’est lui-même » (Être et temps, trad. par Emmanuel Martineau, édition numérique hors-commerce, p. 116). [4] MARGALIT Avishai, La société décente, trad. par François Billard et Lucien D’Azay, Castelnau-Le-Lez, Éd. Climats, coll. « Sisyphe », 1999. [5] Cf. ibid., p. 10. [6] Ibid., p. 13. On notera au passage que pour Margalit, même s’il ne l’exprime pas explicitement, il devrait exister une garantie cosmopolitique pour les individus, au sens kantien d’un Weltburgerrecht (troisième article définitif du « Projet de paix perpétuelle ») : dans une société décente, nous dit l’auteur, les institutions n’humilient pas « les gens » — c’est-à-dire, ni les nationaux ni n’importe quel individu situé sur le territoire. [7] Ibid., p. 14. [8] Ibid., p. 22. C’est nous qui soulignons. [9] Cf. WALZER Michael, Sphères de justice. Une défense du pluralisme et de l’égalité, trad. par Pascal Engel, Paris, Éd. du Seuil, coll. « La couleur des idées », 1997. [10] MARGALIT Avishai, op. cit., p. 48. [11] FERRY Jean-Marc, LACROIX Justine, La pensée politique contemporaine, Bruxelles, Bruylant, 2000, p. 101. [12] MARGALIT Avishai, op. cit., p. 13. [13] Ibid., p. 24. [14] Ibid., p. 26. [15] Ibid., p. 31. [16] « Une société décente est une société qui ne rejette pas les groupes d’inclusion moralement légitimes » (ibid., p. 137). [17] Ibid., p. 135. [18] Cf. « Quatrième partie. Soumettre les institutions sociales à un test », in ibid., pp. 179-252. [19] FERRY Jean-Marc, LACROIX Justine, op. cit., p. 109. [20] TAYLOR Charles, « Le fondamental dans l’Histoire », in LAFOREST Guy, DE LARA Philippe (dir.), Charles Taylor et l’interprétation de l’identité moderne, Paris, Éd. du Cerf, coll. « Passages », 1998, p. 39. [21] TAYLOR Charles, Les Sources du moi. La formation de l’identité moderne, trad. par Charlotte Mélançon, Paris, Éd. du Seuil, coll. « La couleur des idées », 1994, p. 57. [22] TAYLOR Charles, Multiculturalisme. Différence et démocratie, trad. par Denis-Armand Canal, Paris, Flammarion, coll. « Champs », 1997, p. 52. [23] Cf. TAYLOR Charles, « L’atomisme », in La Liberté des modernes, textes choisis par Philippe de Lara, Paris, PUF, 1999, pp. 223-254. [24] FERRY Jean-Marc, LACROIX Justine, op. cit., p. 121. C’est nous qui soulignons. [25] TAYLOR Charles, Les Sources du moi. La formation de l’identité moderne, trad. par Charlotte Mélançon, Paris, Éd. du Seuil, coll. « La couleur des idées », 1994, p. 94-105. [26] FERRY Jean-Marc, LACROIX Justine, op. cit., pp. 136-137. [27] Ibid., p. 120. [28] RABAULT Hugues, « Carl Schmitt et la mystique de l’État total », Critique, n°654, novembre 2001, p. 866. [29] L’expression est de facture récente. On la retrouve, notamment, chez Gopal BALAKRISHNAN (cf. « Chapitre premier. Le jeune Carl Schmitt », in L’ennemi. Un portrait intellectuel de Carl Schmitt, trad. par Diane Meur, Paris, Éd. Amsterdam, 2006, pp. 29-50) et chez Bill SCHEUERMAN (« Legal indeterminacy and the origins of Nazi legal thought : the case of Carl Schmitt », History of Political Thought, vol. 17, n°4, hiver 1996, pp. 571-590), qui entretinrent un dialogue particulièrement éristique au sujet de la jeunesse du juriste dans le Boston Review. [30] Schmitt adhéra à la NSDAP le 1er mai 1933, à Cologne, sous les exhortations de Martin Heidegger (cf. BENDERSKY Joseph, « The expendable Kronjurist : Carl Schmitt and National Socialism 1933-36 », Journal of Contemporary History, vol. 14, n°2, avril 1979, p. 314). [31] SCHMITT Carl, Théorie de la Constitution, trad. par Lilyane Deroche et préface d’Olivier Beaud, Paris, PUF, coll. « Léviathan », 1993, p. 377. [32] Cf. SCHMITT Carl, « La notion de politique », in La notion de politique, suivi de Théorie du partisan, trad. par Marie-Louise Steinhauser et préface de Julien Freund, Paris, Flammarion, coll. « Champs », 2004, pp. 108-109. [33] SCHMITT Carl, La dictature, trad. par Mira Köller et Dominique Séglard, Paris, Seuil, coll. « L’ordre philosophique », 2000, p. 28. [34] « Schmitt appartient à la tradition de Tertullien et d’Augustin, selon laquelle la chute a profondément modifié la nature humaine » (WEYEMBERGH Maurice, « Carl Schmitt et le problème de la technique » in CHABOT Pascal, HOTTOIS Gilbert (éd.), Les philosophes et la technique, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, coll. « Pour Demain », 2003, p. 142. La plupart des exégètes francophones s’accordent sur ce point, si ce n’est Étienne BALIBAR qui soutient que l’anthropologie théologique du juriste ne serait que « d’origine lointainement augustinienne » (« Schmitt : une lecture « conservatrice » de Hobbes ? », Droits – Revue française de théorie, de philosophie et de culture juridiques, n°38, 2003, p. 156). [35] « Mais la tâche d’un État normal est avant tout de réaliser une pacification complète à l’intérieur des limites de l’État et de son territoire, à faire régner « la tranquillité, la sécurité et l’ordre » et à créer de cette façon la situation normale [Schmitt souligne] » (SCHMITT Carl, « La notion de politique », in La notion de politique, suivi de Théorie du partisan, trad. par Marie-Louise Steinhauser et préface de Julien Freund, Paris, Flammarion, coll. « Champs », 2004, p. 85). [36] MANENT Pierre, « Notre destin libéral », préface à : MEIER Heinrich, Carl Schmitt, Léo Strauss et la notion de politique. Un dialogue entre absents, trad. par Françoise Manent, Paris, Julliard, coll. « Commentaire /Julliard », 1990, p. 10. [37] STRAUSS Leo, « Trois lettres à Carl Schmitt », in MEIER Heinrich, op. cit., p. 169. La citation en question est extraite d’une lettre que Strauss adressa à Schmitt le 4 septembre 1932. [38] SCHMITT Carl, La dictature, trad. par Mira Köller et Dominique Séglard, Paris, Seuil, coll. « L’ordre philosophique », 2000, p. 38. C’est nous qui soulignons. [39] WEYEMBERGH Maurice, « Carl Schmitt et le problème de la technique », in CHABOT Pascal, HOTTOIS Gilbert (éd.), op. cit., p. 154. [40] Cf. BAUME Sandrine, « Carl Schmitt, penseur de l’État », introduction à : SCHMITT Carl, La valeur de l’État et la signification de l’individu, trad. et notes par Sandrine Baume, Genève, Librairie Droz, coll. « Les classiques de la pensée politique », 2003, p. 23. [41] BEAUD Olivier, « Carl Schmitt ou le juriste engagé », préface à : SCHMITT Carl, Théorie de la Constitution, trad. par Lilyane Deroche, Paris, PUF, coll. « Léviathan », 1993, p. 39. C’est nous qui soulignons. [42] À ce propos, les raisonnements de Nicolas TERTULIAN s’avèrent particulièrement perspicaces. Il écrit que l’expression de la volonté, chez Schmitt, équivaut à minimiser « la portée de la raison (la ratio) au profit de la volonté (la voluntas) [Tertulian souligne « raison » et « volonté »] » (« Carl Schmitt entre catholicisme et national-socialisme », Les Temps Modernes, n°594, août – septembre 1996, p. 145). [43] RAWLS John, Théorie de la justice, trad. par Catherine Audard, Paris, Éd. du Seuil, coll. « Points – Essais », 1997. [44] NOZICK Robert, Anarchie, État et utopie, trad. par Évelyne d’Auzac de Lamartine et Pierre-Emmanuel Dauzat, Paris, PUF, coll. « Quadrige », 1988. [45] VAN PARIJS Philippe, Qu’est-ce qu’une société juste ? Introduction à la pratique de la philosophie politique, Paris, Éd. du Seuil, coll. « La couleur des idées », 1991, p. 20. [46] « En premier lieu, il faut que les principes soient généraux. Cela veut dire qu’on doit pouvoir les formuler sans utiliser ce qu’on pourrait considérer intuitivement comme des noms propres ou des descriptions définies dissimulées. […] Ensuite, l’application des principes doit être universelle. Ils doivent être valables pour chacun en tant que personne morale. Je suppose donc que chacun peut comprendre ces principes et les utiliser dans ses réflexions » (RAWLS John, op. cit., pp. 164-165). [47] FERRY Jean-Marc, LACROIX Justice, op. cit., p. 32. [48] Ibid., p. 55. [49] Cf. « 3. La position originelle », in RAWLS John, op. cit., pp. 151-228. [50] FERRY Jean-Marc, LACROIX Justice, op. cit., p. 42. [51] RAWLS John, op. cit., p. 91. [52] Ibid., p. 93. C’est nous qui soulignons. [53] NOZICK, Robert, op. cit., p. 205. [54] Ibid., p. 270. [55] « Que les actifs naturels des personnes soient ou non arbitraires d’un point de vue moral, elles y ont droit, de même qu’elles ont droit à tout ce qui en découle » (ibid., p. 279). [56] MONGIN Olivier, « Les paradoxes du politique », Esprit, n° spécial Paul Ricoeur, juillet – août 1988, p. 33. [57] Ibidem. [58] Ibid., p. 29. [59] Cf. RICOEUR Paul, « L’identité narrative », Esprit, n° spécial Paul Ricoeur, juillet – août 1988, pp. 295-304. [60] ROMAN Joël, « De l’action politique », Esprit, n° spécial Paul Ricoeur, juillet – août 1988, p. 8. [61] FERRY Jean-Marc, L’éthique reconstructive, Paris, Éd. du Cerf, coll. « Humanités », 1996, p. 7. [62] « Du politique au-delà des nations », in FERRY Jean-Marc, Europe, la voie kantienne. Essai sur l’identité postnationale, Paris, Éd. du Cerf, coll. « Humanités », 2005, pp. 199-211. [63] FERRY Jean-Marc, L’éthique reconstructive, Paris, Éd. du Cerf, coll. « Humanités », 1996, p. 35. [64] Ibid., p. 35. [65] RAWLS John, op. cit., p. 427. [66] « Entre les Etats membres de l’Union, une culture politique partagée renvoie au modèle d’un « consensus par confrontation », lequel diffère d’un « consensus par recoupement », en ce qu’il résulterait d’une résolution, sur la voie d’argumentations publiques, de conflits d’intérêts portés sur le registre de conflits d’interprétations juridiques » (FERRY Jean-Marc, « Dix thèses sur « la question de l’État européen » », Droit et société, n°53, 2003, texte disponible sur : http://users.skynet.be/sky95042/art.html). Voir également : « Pour un consensus par confrontation », in FERRY Jean-Marc, Europe, la voie kantienne. Essai sur l’identité postnationale, Paris, Éd. du Cerf, coll. « Humanités », 2005, pp. 81-86. Voies (textes critiques)