« Parfois la beauté » d’Azadée Nichapour Jean-Louis Cloët, 20 mars 200812 août 2023 La poétesse d’origine persane — et donc iranienne — Azadée Nichapour, ayant récemment publié un recueil de poèmes aux éditions Seghers, la Revue Polaire étant fortement engagée de par son héritage humaniste sur la question du dialogue nécessaire et enthousiasmant entre Occident et Orient, nous ne nous pouvions que saluer la publication de son dernier ouvrage. PARFOIS LA BEAUTÉ d’Azadée Nichapouraux éditions Seghersdans la collection « Autour du monde » [Qu’Azadée Nichapour veuille bien nous excuser si notre mise en page écrase la typographie de ses textes, n’en tienne pas compte, mais cela ne fera qu’inciter la lectrice ou le lecteur d’aller les découvrir dans leur intégrité propre dans son ouvrage…]Azadée Nichapour a choisi de porter comme pseudonyme et patronyme le nom sa ville natale d’où l’on extrait certaines des plus splendides turquoises de cette planète. Nonobstant, avec un humour — allez savoir !… — à la René Magritte ?… Azadée Nichapour, dès les premières pages de son recueil, nous prévient, est on ne peut plus explicite : Il faut que je vous diseje ne suis pas celle qu’on vous présente Ceci n’est pas une Persanemais une personne Méfiez-vous de la forêt qui cache l’arbre [1] Elle a beau être née dans ce beau pays de Perse qui pourrait nous faire beaucoup rêver [2] — et qui porte pour l’heure le nom d’« Iran », — ce beau pays antique, prestigieux, souvent malheureux… : non ! qu’on n’attende pas d’elle surtout de satisfaire notre goût, toujours prompt à extravaguer, d’exotisme : elle entend bien choisir pour « point d’optique [3] » celui de l’universalité. Pour autant, toute origine n’est pas rageusement par elle gommée : elle se sait porteuse d’un regard, qui est non seulement celui de sa terre pluri millénaire, mais celui de l’enfant qu’elle a été : Une femme vieille comme un haïkuregarde sa vie par la fenêtresur une rue de Paris [4] À cet enfant, chacun se doit d’être fidèle, puisqu’il reste les yeux ouverts en soi ; l’enfant dicte et décide de toute façon du jour, des heures, de la seconde : Chaque nuit à la même heureun train traverse mon sommeil Un jeune homme me tend une fleurj’ai six ans au bras de ma mèredans le train qui nous mèneà la mer Caspienne Souvenir d’un instantpour le voyage d’une vie [5] Il est à l’œuvre en elle, l’enfant, et elle le sait. Elle laisse faire. Que pourrait-elle faire d’autre d’ailleurs, venue de cet ailleurs, qui, malgré tout, la poursuit, la rejoint plutôt, où qu’elle se trouve… où qu’elle se trouve parce qu’elle porte en elle toujours une sorte d’« exil » intérieur ; et, nul besoin de citer ici le trop solennel sans doute Alexis Saint-Léger Léger, dit « Saint-John Perse », comme argument d’autorité [6] : il pèserait. Non, restons légers… l’auteur le veut : La nuit neigeet l’enfance me revientcomme un manège ancien [7] […] Et, plus haut, en amont encore, pourtant au bord de l’exil, on peut lire encore : Sur la route de soije ferme les yeux Une petite filleau milieu d’un aéroportles bras chargé de nuages […] Douce et terrible question : quel est donc le lieu de l’« exil » alors ?… C’est simple, plutôt élémentaire, élémentaire au sens premier : le lieu de l’exil, c’est toujours la langue : Dans ta langue j’entendsma langue maternelle De l’arbre au nuage il n’y a qu’un pas Combien de languesparlent dans une langue Nous faisons sans savoir ami-amiavec tant de « faux amis [8] » Mais des questions et des réponses, la sagesse veut que ce sont toujours et seulement les questions qu’il faut retenir, de « la maison en flammes » comme disait Cocteau, « il ne faut emporter que le feu [9] » : Remonter le fleuvedes origines Le Je en vaut-il le péril Est-il ditque pour se trouveril soit utile de se perdre sinon dans l’exil de l’écriture [10] De ce type d’exil, nous sommes tous porteurs, et l’auteur le sait : […] Regarde en moiton désir muet d’être un étranger Prends le chemin que j’ouvre en toi [11] Révélant, réveillant la sourde inquiétude en nous de l’« exil » que nous portons tous : Poèteregarde-moi je suis ta femmeje suis ta sœur Moi l’étrangère des miroirstoi l’étrangerqui ne viens pas d’Ailleurs [12] Elle nous apaise, comme si nous étions « L’Ami » ou « L’Aimé [13] » : Poète ! Tel un miroir qui voit tout l’êtrepar toi je veux me connaître [14] Et nous le sommes : Ne pleure pasaprès les bateaux qui partent Le tour de ton cœur est plus vasteque le tour de la Terre [15] En elle, à jamais l’exil a installé cette certitude heureuse, qu’elle pourra dire, où qu’elle se trouve, qu’elle pourra dire enfin : Tu te souviendras de moi paysagecar je t’ai regardé au fond des yeux Tu te souviendras de moijusqu’à l’âgede dormir un peu [16] Et, c’est là que se trouve l’échappée belle du livre, du recueil : l’autre, « L’Ami », « L’Aimé [17] », n’est-il pas « paysage » aussi ?… ce que Verlaine avec génie appelait un « paysage choisi [18] » ?… — N’en disons surtout pas davantage…« Suggérer, là est le rêve !… » Verlaine et Mallarmé [19] étaient d’accord là-dessus. Et tant d’autres… Azadée Nichapour ?…Voilà le lieu d’où elle regarde…Pour le reste, c’est à dire « tout », tout le reste… pour ce qu’elle a à vous dire, à vous suggérer plutôt avec parfois l’accent d’un Nietzsche qui se fait aphoristique, ou l’élégance d’une danseuse de… Bali, il vous faut la lire…Je voulais simplement vous mener jusqu’au seuil.— Entrez !… — > Azadée Nichapour, Parfois la beauté, éd. Seghers, coll. « Autour du monde », 11 euros. [Parfois la beauté d’Azadée Nichapour a bénéficié du soutien du fonds d’Action SACEM.][Azadée Nichapour est aussi l’auteur d’un autre recueil de poèmes aux éditions Dumerchez : Nuage étranger, et d’un récit autobiographique aux éditions Le Bord de l’eau : Pour l’amour d’une langue — Lettre ouverte d’une immigrée « intégrée » au Président de la République et aux Français. Fortement engagée sur la question de l’intégration des immigrés, Azadée Nichapour est également la collaboratrice de ministres et de députés à l’Assemblée Nationale. La Revue Polaire étant fortement engagée de par son héritage humaniste sur la question du dialogue nécessaire et enthousiasmant entre Occident et Orient, nous ne nous pouvions que saluer la publication de son dernier ouvrage.] [1] .— Azadée Nichapour, « Exils », IX, in Parfois la Beauté, éd. Seghers, coll. « Autour du monde », Paris, 2008, p. 22. [2] .— à l’instar de Montesquieu : « Comment peut-on être Persan ? » [3] .— Pour emprunter au Hugo de la préface de Cromwell, 1828 : « Le théâtre est un point d’optique » ; si le théâtre l’est, la poésie l’est également, comme au reste tous les arts. [4] .— « Beauté », XV, op. cit., éd. cit, p. 71. [5] .— « Exils », V, ibid., p. 18. [6] .— Voir : Saint-John Perse, Exil, 1942. [7] .— Azadée Nichapour, « Exils », VI, op. cit., p. 19. [8] .— « Exils », X, op. cit., p. 23. [9] .— Jean Cocteau, dans une de ses innombrables et toujours passionnantes interviews. [10] .— « Exils », III, op. cit., p. 15. [11] .— « Beauté », XXXI, op. cit., p. 84. [12] .— « Exils », XII, op. cit., p. 25. [13] .— Autre culture évidemment, qu’il me soit permis d’emprunter ici à l’excellent Ramon Lull (1235-1315), poète catalan, auteur du Livre de l’Ami et de l’Aimé, qui faisait les délices de l’excellent G.L.M., « le bénédictin de la poésie » comme aimait à l’appeler Pierre Seghers. [14] .— « Beauté », III, op. cit., p. 55. [15] .— « Beauté », XXXII, op. cit., p. 85. [16] .— « Beauté », XXXIV, op. cit., p. 87. [17] .— Voir : Ramon Lull, déjà cité, pieusement déjà invoqué. [18] .— Voir : Paul Verlaine, « Clair de lune », in Fêtes galantes, I, 1869. [19] .— Qu’elle cite. Voir : « Beauté », IV, op. cit., p. 56 : « Le vierge le vivace et le bel aujourd’hui ». À la Saint Charlemagne (nos coups de cœur)